« La filière semences et plants, forte en France, a permis de traverser la crise dans de meilleures conditions. » François Burgaud, Directeur des relations extérieures du Gnis

« Nous participons à la souveraineté alimentaire française. Il faut que nous puissions continuer à innover et maintenir une réglementation favorable ».

Entretien avec François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et des Plants)

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Monsieur François Burgaud, directeur des relations extérieures du GNIS, le Groupement National Interprofessionnel des Semences et des Plants. Monsieur Burgaud, bonjour. Une première question toute simple: comment, globalement, se porte aujourd’hui les professionnels que vous représentez, qui sont à vos côtés ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Bonjour. Les professionnels et l’ensemble des acteurs de la filière des semences et des plants, ont réussi à traverser cette crise dans de bonnes conditions, à assurer l’ensemble des approvisionnements nécessaires, notamment pour les agriculteurs dans tout ce qu’on appelle les cultures de printemps et ont réussi, avec les difficultés de beaucoup d’autres professions en matière de transport, en matière de main d’oeuvre, ont réussi à maintenir leur activité; étant entendu que le gouvernement avait pris la précaution, depuis le départ, de considérer que l’agriculture, et les semences en font partie, l’agriculture et l’alimentation, faisaient partie des secteurs prioritaires.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Il y a une chose intéressante, peut-être une petite lueur d’espoir, grâce ou à cause de cette crise, c’est que les agriculteurs, les producteurs, les éleveurs, bref, tout ceux qui font que l’on peut manger, se nourrir, en France, ont retrouvé, peut-être, un peu de proximité avec les consommateurs, avec les citoyens. Vous avez ressenti, ces échos autour de vous?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Alors, pas complètement, ce serait logique, parce qu’on n’a pas d’agriculture sans semence et j’irai plus loin, on n’a pas non plus, d’ailleurs, d’élevage sans semence; parce qu’il faut bien aussi que les animaux aient des prairies pour se nourrir ou d’autres produits agricoles, mais la semence reste loin du consommateur. 

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

J’évoquais ça, bien-sûr, d’une manière générale de l’esprit. On a bien compris qu’effectivement, le semencier n’est pas en contact direct avec le consommateur, mais la profession agricole, au sens large, j’englobe tous les métiers bien-sûr et les semenciers aussi. Voilà, il y avait plus de proximité, on a vu un lien peut-être qui s’est renoué à cause de cette crise, de cet épisode de la Covid19. 

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

C’est en tout cas l’espoir de tout le monde, les gens optimistes disent: l’alimentation; et l’agriculture qui permet cette alimentation; est revenue au premier rang, alors que c’était un secteur qui avait été très délaissé, à la fois par les consommateurs, par l’opinion et donc, à un moment, forcément, par les pouvoirs publics.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Est-ce qu’il y a des sujets particuliers qui concernent les professionnels des semences et des plants ? On parle beaucoup de renouveau, de monde nouveau. Est-ce qu’il y a des des sujets importants, qui selon vous, sont à cultiver, c’est le cas de le dire, avec de nouvelles perspectives de produire, de consommer, puisqu’il y avait des attentes des consommateurs, ça pourrait donner lieu, justement, à de nouvelles idées du côté des professionnels qui sont à vos côtés ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

J’aurais tendance à dire que, déjà, ce que l’on espère, c’est qu’effectivement cette prise de conscience que si la France a traversé dans d’aussi bonnes conditions, au point de vue alimentaire, la crise que nous avons connue, c’est parce qu’il y a des productions et qu’il y a notamment des agriculteurs qui trouvent les semences dont ils ont besoin. Déjà, ça c’est énorme. La deuxième chose, c’est que la France a bénéficié, dans cette crise, du fait que l’on a une filière semencière d’excellence. C’est-à-dire que, pour revenir aux questions générales, qui ont été posées sur les masques en Chine etc et bien oui, l’essentiel des semences, qui sont utilisées en France, sont faites sur le territoire français avec des variétés sélectionnées pour le territoire français. Donc, le fait que l’on soit un leader mondial en termes de sélection, c’est-à-dire la création de variétés de production de semences, nous a permis de n’avoir aucun problème grave d’approvisionnement, malgré le fait que pendant quelques temps, malgré tout, les frontières se sont fermées, y compris au sein de l’Union Européenne.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Il y avait des problèmes éthiques davantage logistiques, d’une certaine façon, c’est ce que vous voulez dire ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Oui, c’est ça, des problèmes logistiques mais aussi certains pays, qui pendant quelques jours, parfois une ou deux semaines, ont fermé leurs frontières, parce que il y avait une ambiguïté, il disaient: « mais si on laisse passer des camions, déjà, est-ce que ce n’est pas prendre le risque que le virus circule ? » donc, il y a eu quelques ajustements à faire, mais globalement, ce qu’il faut retenir, c’est que l’on est le premier producteur européen, un des premiers producteurs mondiaux de semences, on est aussi le premier exportateur mondial et à un moment, à cause de ces difficultés, on a dit: « mais peut-être qu’on va beaucoup moins exporter ». Et en réalité, quand on regarde les exportations de semences des mois de mars, avril, on a plus exportés en 2020 en 2019. Donc, malgré toutes ces difficultés, malgré toutes les mesures prises par l’ensemble des états, on exporte dans cent cinquante pays dans le monde. On a plus exporté cette année que l’année précédente et ça, pourquoi ? parce que les états qui reçoivent nos semences étaient aussi conscients qu’ils ne pouvaient pas prendre le risque, malgré cette crise, d’aller frontalement, après la crise sanitaire, vers une crise alimentaire.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Voilà quelque chose de satisfaisant, cette information que vous nous donnez, d’encourageant et qui montre bien combien la France, justement, est en pointe sur ce sujet. Alors évidemment, il y a un sujet dont on parle beaucoup, les citoyens, les politiques aussi bien-sûr, on parle beaucoup de souveraineté alimentaire, de souveraineté agricole, être autonome, ça c’est aussi une donnée importante. Pour vous, la souveraineté alimentaire, qu’est-ce que ça veut dire, comment est-ce que vous définiriez ça ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

La souveraineté alimentaire, c’est: se donner les moyens, au niveau d’un état, que ses citoyens reçoivent les produits alimentaires dont ils ont besoin. Pour ça, ça veut dire deux choses: ça veut dire, bien-sûr, regarder comment développer, sur son sol, des productions compétitives; ça veut dire aussi, dans un certain nombre de cas, faire en sorte que ce dont on a besoin, qui vient de l’extérieur, soit sécurisé et les semences, de ce point de vue-là sont très intéressantes. On se flatte souvent, à juste titre, d’être le premier exportateur mondial de semences agricoles, mais il faut savoir qu’on est aussi, suivant les années, le deuxième ou le troisième importateur mondial, c’est-à-dire que même si l’excédent est très favorable, puisque cette année l’excédent commercial des semences, c’est un milliard

d’euros.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Ce que vous voulez dire, c’est que ce n’est pas incompatible ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Non, parce que, ce qui est important dans le cadre de l’agriculture française et de l’alimentation française, c’est que les paysans français aient entre les mains, les semences qui vont leur permettrent de produire le mieux possible des aliments compétitifs vis-à-vis du consommateur; puisque vous savez bien que les mauvaises habitudes reprennent vite. Vous savez qu’au moment de la crise, au début, on a encouragé tout le monde à consommer français et donc les distributeurs à acheter français. Au début, quand les frontières se sont fermées, par exemple les gens qui vendent de la farine, les distributeurs, ils ont acheté essentiellement de la farine française, parce que leurs sources habituelles étaient fermées. Mais dès qu’il y a eu le déconfinement et que les échanges se sont à nouveau libéralisés, ils ont racheté, parfois pour quelques centimes, de la farine étrangère. Donc, on ne peut pas raisonner, sans raisonner économiquement, mais ce qu’il faut comprendre, pour vous donner une image: le marché mondial des semences des plus de deux cent pays de la planète, c’est un peu près cinquante milliards de dollars. Les échanges de semences, c’est-à-dire, les semences qui voyagent d’un pays à l’autre, c’est un quart de ces cinquante milliards, vingt cinq pour cent. Et donc, ce qui nous a fait le plus peur dans cette crise, ce n’est pas la crise elle-même, puisqu’encore une fois, au moment de l’urgence, aucun pays n’a fermé ses frontières sur les semences. Par contre, il y a toujours un risque de repli nationaliste et qu’à un moment donné, les pays… par exemple le Vietnam ou la Thaïlande, à un moment, ont envisagé d’arrêter les exportations de riz, en disant: « et bien après tout, s’il y a des risques alimentaires, je garde mon riz pour moi, je ne le vends plus à l’extérieur » et il peut y avoir des tentations de ce type. Sur les semences et les variétés, ce serait une catastrophe. Pourquoi ce serait une catastrophe ? à cause de ce que je viens de dire sur les échanges. Par exemple, quand c’est l’hiver en France, des fois pour ajuster nos approvisionnements, on fait faire des semences en Amérique latine et cetera, que l’on appelle « de contre-saison ». Si on dit: « on arrête », ça veut dire que l’on n’a plus que les semences que l’on fait en été. Deuxième point, qui est encore plus fondamental: aujourd’hui, tout le monde s’inquiète de la biodiversité, c’est-à-dire, quelles sont les plantes qui sont à la disposition des agriculteurs, et derrière la diversité des blés, des fruits, des légumes… qui sont à la disposition des consommateurs. Accéder à de la biodiversité, ça veut dire, continuer d’avoir le plus d’échanges possible de plantes entre tous les pays du monde. Et donc, de ce point de vue-là, il faudra être très attentif à ce que les politiques mises en place, ne soient pas des politiques qui referment les pays sur eux-mêmes, parce que notre alimentation, elle est le résultat d’une énorme circulation des plantes: la carotte que nous mangeons aujourd’hui, avant d’être telle qu’elle est, et bien à partir des premiers plants de carottes que l’on a réussi à sélectionner il y a des centaines d’années, elles ont voyagé dans le monde entier pour devenir la carotte orange que nous consommons.

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Ce que vous voulez dire, c’est que la souveraineté alimentaire, oui effectivement, mais ça ne passe pas par un enfermement, une réclusion de tout ce que l’on produit, plus rien ne rentrerait, quasiment plus rien ne sortirait. Voilà, il faut rester ouvert sur le monde, c’est ça ?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Oui absolument. Encore une fois, la biodiversité de la planète, elle a besoin de cette circulation, elle a besoin que les plantes circulent, qu’une plante créée en Europe permette d’améliorer quelque chose en Afrique ou en Asie et inversement et donc c’est très important de maintenir cette circulation. Encore une fois, j’y reviens, la souveraineté alimentaire, c’est la capacité des peuples à faire des choix intelligents. Les choix intelligents, ce n’est pas de faire de la semence l’hiver dans des serres, plutôt que d’aller les chercher dans l’autre hémisphère de la planète, là où c’est l’été, quand c’est l’hiver chez nous. Faire des choses intelligentes, ce n’est pas essayer absolument de faire de l’arachide sur le territoire français, alors que cette arachide, elle pousse très bien dans l’ensemble des pays sahéliens et en sens inverse, le tournesol, lui est très adapté chez nous, ou le colza, et beaucoup moins dans ces pays du sud. 

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Allez, dernier point, Monsieur Burgaud, on a un nouveau ministre de l’Agriculture avec un nouveau gouvernement. S’il y avait une ou deux choses à recommander pour les professionnels des semences et des plants, qu’est-ce qu’ils pourraient demander, proposer, au ministre de l’Agriculture?

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Si nous voulons, pour une crise dans dix ans, dans vingt ans… être dans les mêmes conditions, il faut que l’on conserve cette capacité d’innovation. Donc le premier dossier, sur lequel on interpellerait le ministre de l’Agriculture et sur lequel d’ailleurs, je peux même dire, on l’interpellera, c’est la question de l’innovation de l’amélioration des plantes et notamment de toutes les techniques qui permettent de sélectionner plus rapidement des plantes nouvelles, adaptées aux enjeux d’aujourd’hui. La deuxième chose, c’est de lui demander de travailler avec l’Europe sur ce que l’on appelle la réglementation. Là, on rentre dans des guerres plus picrocholines, mais le secteur semencier français est atteint depuis plusieurs années par des conflits un peu absurdes entre des gens, qui disent: « mais … tout ce que l’on a mis en place tue la biodiversité etc » et d’autres, comme l’Interprofession des Semences, qui disent : « vous avez raison sur le fait que cette réglementation doit être adaptée, mais vous avez tort de penser que l’on est définitivement en sécurité alimentaire. La Cour de Justice de l’Union européenne; il y a quelques années, qui avait été interpellée en disant: « mais pourquoi toutes ces réglementations absurdes? »; a dit: « elles ne sont pas absurdes, dans le cas de l’Europe, si on prend le blé, au niveau mondial, il y a trois mois à six mois de stock de blé, et prendre le risque que l’on ait une catastrophe en matière de récolte sur le blé en Europe, c’est un risque pour l’Europe, mais aussi pour le monde, en termes de sécurité alimentaire ». Donc, voilà, ce sont deux sujets sur lesquels nous attendons du ministre de l’Agriculture, qu’il, je dirais, les prenne à bras-le-corps, avec sa collègue ministre de l’Écologie et que l’on essaye d’aller, encore une fois, vers ce qui nous permettra d’assurer la souveraineté alimentaire de demain. 

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Monsieur Burgaud, merci. Si j’ose dire, on passera le message au ministre, à travers les Clés de l’Agriculture, si vous le voulez bien.

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS

Avec plaisir. 

Ivar Couderc : Rédacteur en chef des Clés de l’Agriculture

Monsieur Burgaud, merci beaucoup et puis j’espère que l’on se reverra rapidement sur les Clés de l’Agriculture pour parler des nombreux sujets qui vous concernent. Merci, à bientôt.

François Burgaud, Directeur des relations extérieures du GNIS.  

Avec plaisir, au revoir.

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