Ce lundi 17 mai 2021, le procès de l’entreprise espagnol et de 3 de ses dirigeants a débuté devant le tribunal correctionnel de Marseille. À la suite d’une enquête de plus de 10 ans, Terra Fecundis, accusée d’avoir pratiqué un dumping social pour des centaines d’agriculteurs français, a dû s’expliquer sur son système ce mercredi 19 mai. Les travailleurs vivraient dans des conditions dans lesquelles « on ne pourrait même pas héberger des animaux », et seraient surveillés en permanence. Malheureusement, ces derniers n’auraient pas le choix afin de subvenir aux besoins de leurs familles, restées dans leurs pays natals.
Lors de ce 3ème jour de procès, le tribunal correctionnel de Marseille a constaté des horaires excessifs imposés aux hommes et femmes originaires pour la plupart d’Amérique du Sud embauchés dans les champs et serres de Provence. C’est par exemple le cas pour des ouvrières affectées à l’emballage des fruits dans une exploitation du sud-est de la France. Selon l’accusation, ces dernières commençaient entre 6 et 7 heures du matin et finissaient aux alentours de 22 heures.
Dans les locaux de Terra Fecundis à Châteaurenard dans les Bouches-du-Rhône, un tableau d’heures travaillées par les employés avait été retrouvé. Ce dernier était évidemment complètement différent du tableau des heures facturées par la société espagnole à l’exploitant français. Sur l’un de ces documents, pour un même client apparaissent ainsi 971 heures facturées pour 1 194 heures travaillées. Les ouvriers « partaient extrêmement tôt le matin pour rentrer extrêmement tard », a affirmé le gérant d’un camping où ils séjournaient.
« Le fait que ces gens soient parfois hébergés dans des conditions où on ne pourrait même pas héberger des animaux, qu’ils travaillent et ne soient payés à hauteur du travail effectué, ça ne vous choque pas ? » a demandé le procureur Xavier Léonetti aux trois prévenus.
Aucune sanction jusqu’à présent
Un seul des trois dirigeants était présent à l’audience. Juan Jose Lopez Pacheco s’est défendu, affirmant que, le syndicat espagnol Union General de Trabajadores (Union générale des travailleurs) avait vérifié les conditions de travail de ses salariés dans les exploitations françaises. « Nous n’avons jamais eu de sanctions de la part de l’inspection du travail de Murcie » (sud de l’Espagne). Le dirigeant affirme ensuite que « Terra Fecundis régularisait les heures à la fin de la mission » du salarié détaché.
De plus, il ne comprend pas que les exploitants agricoles ne soient pas devant le tribunal, car ces derniers bénéficiaient avantageusement de ses services. « Le siège en Espagne faisait passer le message sur les dépassements horaires et de mon côté, je disais à mes clients de faire attention à respecter les horaires de travail », s’est défendue Anne Perez, première responsable de la structure française de l’entreprise espagnole.
« Dans cette entreprise, on a l’impression que tout le monde se refile le bébé », a regretté le procureur. Evoquant « une main-d’œuvre assez docile » pour « accepter de vivre » dans de mauvaises conditions, le président du tribunal s’est même demandé dans quelle mesure ils n’étaient pas « contraints ». De nombreux travailleurs ont affirmé ne pas avoir le choix, afin de faire vivre leurs familles, restées en Amérique du Sud. Un homme qui a travaillé dix ans pour Terra Fecundis a témoigné : « On n’a pas les heures supplémentaires mais au moins j’ai un travail ».
« Surveillance permanente »
Enfin, les travailleurs n’auraient aucun moyen de communiquer avec le monde extérieur.
Terra Fecundis a mis en place « un système organisé, avec une surveillance et un encadrement permanent qui transporte les travailleurs chez le médecin ou le samedi pour faire leurs courses. Nous avons des gens isolés sans aucun lien social, aucun lien familial », en France, a témoigné le responsable de l’Inspection du travail du Gard, Paul Ramackers.
« Tous disent qu’ils ont conscience que les heures supplémentaires ne leur sont pas payées, que des jours de travail ne sont pas déclarés », a ajouté Jean-Yves Constantin, représentant du syndicat général agro-alimentaire CFDT des Bouches-du-Rhône, partie civile. Il a témoigné des difficultés à entrer en contact avec ces travailleurs en raison de la surveillance permanente de la société espagnole.