Rencontre avec le patron de la Coopération agricole.
IVAR
Bonjour à tous, bienvenue dans les Clés de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Santé.
Aujourd’hui j’ai le plaisir de recevoir à nouveau Dominique Chargé, le président de la Coopération Agricole.
Dominique Chargé bonjour !
DOMINIQUE CHARGÉ
Bonjour !
IVAR
Comment allez-vous ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Écoutez, je vais bien.
Il y a énormément de sujets chez moi, de balles en l’air en ce moment sur pas mal de sujets et donc nous sommes bien occupés.
IVAR
Alors, on avait parlé il y a un an de quelque chose qui allait devenir, j’ai envie de dire, à la mode. On a commencé à parler de la souveraineté alimentaire. Souvenez-vous c’était il y a un an, aujourd’hui c’est peut-être le terme le plus utilisé par les politiques, par le monde agricole aussi d’une certaine façon.
Quoi de neuf, j’ai envie de dire Dominique Chargé, sur ce mot et surtout cette exécution de ce qu’on a souhaité, cette souveraineté alimentaire ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Il y a un an, à peu près à la même époque fin mai, émergé l’idée du plan de relance.
Et le président, dans plusieurs allocutions repris par le ministre de l’Agriculture de l’époque, avait fait état de fragilité, de vulnérabilité perçue sur cette filière alimentaire qui avait bien tenue et qui n’avait pas eu de rupture dans l’alimentation des français.
Mais on avait vu quelques points de vulnérabilité, de fragilité parce que notre agriculture depuis maintenant une vingtaine d’années a reculé sur des positions historiques de dominante et d’ailleurs, d’autosuffisance à l’égard de certaines productions.
Il était nécessaire de se reposer la question de cette maîtrise de l’approvisionnement de notre chaîne alimentaire, de la gestion des flux, pour retrouver cette souveraineté alimentaire à l’échelle de la France mais également à l’échelle européenne.
IVAR
Ça, c’était le constat, il y a un an.
Ma question se prolonge aujourd’hui : 12 mois plus tard, qu’en est-il ? Va-t-on dans une direction donnée ?
Il y a eu un grand rendez-vous de la souveraineté alimentaire avec notamment le président de la république. Evidemment vous n’étiez pas absent, évidemment ça vous concerne. Qu’est-ce qu’on y a dit ? Qu’est-ce qu’on y a décidé pour agir dans cette direction d’une souveraineté alimentaire ? Si on a décidé quelque chose.
DOMINIQUE CHARGÉ
L’objet du rendez-vous c’était de marquer notre engagement et notre détermination sur ce sujet de la souveraineté alimentaire pour marquer des ambitions mais aussi pour marquer ce que sont aujourd’hui les filières sur lesquelles nous devons retrouver des moyens de production.
Et surtout, ce que nous avons fait, en tout cas ce que moi j’ai mis en avant, c’est d’avoir identifié ce que sont les éléments qui ont engendré ces vulnérabilités, ces fragilités, ces reculs de nos positions.
Alors on en a identifié plusieurs, qu’on avait d’ailleurs commencé à faire émerger dans le diagnostique que nous avions fait sur le pacte pour l’agriculture et l’alimentation, le pacte productif, qui sont finalement un sous investissement chronique depuis 20 ans sur certaines filières que ce soit la volaille, les fruits et les légumes. Sur la pomme de terre par exemple nos outils industriels qui font les produits transformés, les chips, sont de l’autre côté de la frontière belge.
Donc c’est de mettre ces points en évidence pour les corriger.
Sous investissement, évidemment complexité administrative mais également l’incohérence entre les ambitions affichées et la décision publique ou en tout cas les moyens mis à disposition des agriculteurs et de la chaîne alimentaire pour retrouver cet investissement productif et cette capacité à produire.
Ce qui est important à noter c’est qu’en aucun cas, de notre point de vu, la souveraineté alimentaire ne doit être l’objet d’une décroissance. Nous avons aussi à affirmer notre place à l’international et la nécessité d’exporter une partie de notre production pour plein de raisons, d’abord parce que l’excellence qualitative et sanitaire française est plébiscité. Parce que nous avons besoin en terme d’équilibre économique de nos filières d’exporter un certain nombre de produits ou plus exactement de coproduits de nos transformations et donc nous devons garder ce point. Mais cette souveraineté alimentaire se résonne à l’échelle nationale et elle se décline depuis le local jusqu’à l’international et évidemment l’Europe est un point incontournable.
Je pense que ça c’est des sujets sur lesquels nous devons nous accorder avant d’entreprendre les grandes démarches.
Et puis le deuxième point sur ce qui a permis d’avancer, c’est le plan de relance.
Le plan de relance est un excellent levier aujourd’hui pour nous permettre de rebooster la dynamique de recherche, la dynamique de structuration de nos filières.
D’ailleurs, structuration de nos filières je ne l’ai pas dit mais qui est aussi un point de fragilité et de vulnérabilité parce que nous sommes, je pense, insuffisamment structurer autour de réponses pertinentes aux attentes des différents marchés dans une logique de filière depuis, comme nous sommes nous les coopératives, la production jusqu’au marché.
Mais nous devons aujourd’hui retrouver cette dynamique de l’investissement productif pour reconquérir ces parts de marché qui nous font défaut sur ces productions déficitaires.
IVAR
On ne va pas se mentir Dominique Chargé, le chantier est conséquent. Les ruptures sont importantes, vous avez parlé d’abandon, d’abandon économique, d’abandon de production depuis 25 ans. Le chemin va être évidemment très long pour essayer de remonter la pente.
DOMINIQUE CHARGÉ
Le chemin sera long et les moyens à mettre en oeuvre, importants.
Je reviens sur le plan de relance. Si on prend aujourd’hui la nécessité de reconquérir cette souveraineté alimentaire mais qu’on ne peut pas dissocier de deux éléments qui nous font défaut : c’est celui de la compétitivité de nos métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire, sur lesquels nous avons perdu par la complexité administrative, par la sur-transposition d’un certain nombre de règles franco-françaises et puis par la controverse sociétale.
Donc nous devons retrouver cette compétitivité et nous devons aussi mettre en oeuvre les transitions agro écologiques. Donc souveraineté alimentaire est indissociable de transition agro écologique et de compétitivité.
Donc le plan de relance va nous aider à mettre le pied à l’étrier mais la durée de vie du plan de relance qui, aujourd’hui, est de deux ans est trop courte.
Et en tout cas n’est pas adaptée au temps de cette reconquête et il nous faudra déjà prévoir ce que seront demain les leviers qui nous permettront de prolonger la dynamique du plan de relance et donc d’accompagner les transitions et le retour de la compétitivité.
IVAR
Finalement quand vous dîtes le plan de relance c’est bien mais 2 ans ça ne va pas, il manque de vision à moyen et long terme, c’est ça ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Absolument.
Le temps des transitions et le temps de la visibilité à donner aux agriculteurs et à l’industrie agroalimentaire est de 5 à 10 ans.
Et ces 5 à 10 ans vont nécessiter un investissement colossal, à la fois sur nos capacités productives mais également sur les transitions agro écologiques. Et je pense notamment à la décarbonations de nos filières.
Donc nous avons besoin d’ores et déjà d’imaginer ce que sera le futur fond de transition agroécologique qui nous permettra de prolonger la dynamique du plan de relance et d’aller jusqu’au bout de l’ambition de la reconquête de souveraineté alimentaire.
IVAR
On voit bien que vous êtes à moitié content.
Est-ce que c’est pour ça que vous avez sorti, tout récemment, un manifeste qui s’intitule « Mieux nourrir la France au XXIème siècle par nos territoires » ?
Dedans il y a 3 points particuliers, on va les détailler ensemble.
Mais est-ce que c’est parce que vous n’étiez pas assez content de ce qui se dit, ce qui se fait, ce qui se réfléchi que vous avez sorti ce manifeste ? Pas tout seul d’ailleurs.
DOMINIQUE CHARGÉ
Oui, la première raison n’est pas seulement notre mécontentement.
Le mécontentement n’est pas suffisant, ce qu’il faut c’est être force de proposition. Et ce que nous avons voulu à travers ce manifeste c’est être force de proposition.
Pourquoi est-ce qu’on a fait ce manifeste avec les régions et les départements de France ?
Et bien, tout simplement parce que nous sommes les coopératives agricoles.
Et quand on est les coopératives agricoles, on est les acteurs des territoires.
Nous sommes aujourd’hui les outils présents sur les territoires capables de mettre en adéquation l’organisation de la production et la structuration de la production agricole en adéquation avec les attentes des marchés, que ce soit sur le plan des attentes des consommateurs ou des attentes des citoyens.
Et nous avons voulu faire justement parce que la souveraineté alimentaire se résonne à l’échelle nationale comme je disais tout à l’heure mais elle se déploie à partir des territoires. Et la dynamique agricole et agroalimentaire dans la reconquête de cette souveraineté alimentaire, elle s’exprime sur les territoires.
Et nous avons voulu le faire parce que chaque territoire a forcément une logique particulière, un rôle particulier sur la reconquête de cette souveraineté alimentaire. D’abord sur des réponses locales adaptées mais également sur des dynamiques de reconquête de souveraineté nationale et d’exportation intra-communautaire ou de grand export.
IVAR
A la fois de la légitimité et à la fois une logique finalement ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Oui il y a une légitimité. Il y a d’abord une volonté des territoires d’être un acteur de cette dynamique de cette souveraineté alimentaire avec l’ambition et la vision que je viens de vous décrire.
Et puis il y a notre objectif et notre ambition à nous, lorsque nous avons travaillé tout au long de l’année 2020 dans la redéfinition de notre raison d’être, qui inclus notre volonté d’être des acteurs de référence sur les territoires parce que nous sommes des entrepreneurs des territoires, nous sommes des créateurs de valeurs et d’emplois sur les territoires et nous avons voulu le marquer avec les acteurs des collectivités territoriales pour le construire ensemble et s’épauler sur cette ambition.
IVAR
Cette nécessité de s’exprimer à travers un manifeste, c’est aussi parce qu’on est des acteurs du territoire, on est vraiment ancré localement, on sait ce que c’est C’est histoire de dire aussi à Paris « attendez, nous on sait, on est dedans, écoutez-nous » ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Oui, je ne vais pas contourner l’obstacle.
Je pense que cette attention à la ruralité, qui est quand même une base fondamentale de notre nation, a été insuffisante au moins dans la première partie du mandat.
Et il y a effectivement pour nous, la volonté d’exprimer notre action à partir des territoires et à partir de notre ancrage territoriale et rurale.
Oui c’est une façon de dire aussi à Paris mais de faire-valoir que nous sommes les acteurs des territoires et que finalement, cette dynamique, elle s’appuie, elle s’ancre et elle part des territoires.
IVAR
3 axes pour votre manifeste que vous venez de publier :
1. Organiser la production de l’alimentation pour répondre aux demandes des territoires et des consommateurs.
2. Accélérer la transition écologique, agro écologique des modèles de production agricole et alimentaire.
Et le 3ème point : Consommer une alimentation de qualité, produite localement.
Sur le 3ème point je pense que tout le monde a envie de dire oui c’est une évidence.
Le deuxième point peut paraître un peu paradoxale : une transition ça nécessite aussi des changements de pratiques, de travail, des investissements. C’est contraignant, il faut accélérer néanmoins ?
DOMINIQUE CHARGÉ
La prise de conscience est faite donc il faut accélérer la mise en marche dans la dynamique en fait.
Evidemment après ça va prendre 5 à 10 ans comme je disais plus tôt mais il faut accélérer la dynamique.
Et pour nous, l’appui sur les territoires a deux objectifs :
Le premier c’est vraiment de responsabiliser à l’échelle des territoires, ce que sont les actions prioritaires à développer. Pourquoi je dis ça ? Parce qu’on se rend bien compte que dans la conduite des transitions agro écologique, à l’échelle des exploitations et des entreprises agro alimentaire, il y a des réalités locales qui peuvent être différentes d’un territoire à l’autre en fonction des orientations de production, en fonction des dynamiques, de ce que sont l’agronomie des sols présents sur les territoires, de ce que sont les spécificités géologiques et géographiques en terme de reliefs des territoires.
Et tout ça doit entrer dans une nouvelle approche qui est beaucoup plus systémique qu’une approche standardisée telle qu’on a pu la mettre en oeuvre depuis 20ans.
IVAR
Si on résume, l’idée c’est d’avoir des solutions qui s’adaptent aux territoires, aux activités, aux professionnels et ne pas descendre une grille brute de décoffrage qui ne s’appliquera pas bien, pas comme il faut, etc ? Avoir de l’intelligence dans la transformation ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Nous c’est comme ça qu’on le voit et on veut être les acteurs, dans les coopératives, de cette dynamique. Alors avec les autres acteurs aussi mais les coopératives ont un rôle privilégié par leur présence auprès de 3 agriculteurs sur 4 pour accompagner cette logique. Et finalement trouver la solution adaptée à chacune des exploitations des adhérents des coopératives.
La deuxième raison c’est qu’il y a des moyens dans les territoires aujourd’hui qui sont des moyens propres mais qui sont aussi des moyens distribués à travers le deuxième pilier de la PAC et qu’on veut en faire une force.
Une force justement adaptée à ces réalités territoriales. Alors ça ne veut pas dire que les territoires doivent gérer cet ensemble seul mais il doit y avoir une répartition et une grille nationale de cadrage sur l’ensemble des actions à conduire, sur l’orientation donnée sur cette orientation agro écologique.
Et après, il doit y avoir une enveloppe. Sur la base il doit y avoir un fond, ce fond de transition sur la base des fonds des pays A4 qui doit être re-répartie dans les territoires et laissez à l’appréciation et à la gestion des territoires pour accompagner très localement et adapter à chacune des régions, ces transitions et ces transformations de nos filières.
IVAR
Dernier point : consommer une alimentation de qualité, produite localement, ça fait partie des points de votre manifeste.
On n’a pas évoqué le sujet économique avec vous. Produire localement en France, des produits de qualité, tout le monde en a envie. Hélas ça coute aussi très cher par rapport à la concurrence, c’est aussi un vrai sujet pour le consommateur qui fait ses courses tout simplement.
DOMINIQUE CHARGÉ
Cette volonté de permettre à chaque consommateur de pouvoir consommer des produits de qualités, bons, sains, durables, accessibles en terme de prix est évidemment une préoccupation de tous les jours pour nous.
Je pense qu’un des écueils de ce qui a été fait en terme de dynamique des OGA et de la loi Egalim, c’est peut-être d’avoir trop « élitisé »‘ l’alimentation pour un public qui n’est pas forcément représentatif de l’ensemble de la population.
Donc nous, notre volonté, c’est de pouvoir produire pour tous les consommateurs, pour tous les moments de consommation et pour toutes les gammes de consommation. C’est-à-dire que les entrées de gamme doivent aussi monter en gamme pour produire une alimentation sûre, saine et durable à nos concitoyens et notamment reconquérir la part que nous avons perdu dans la restauration hors domicile qui est majoritairement des produits d’importations, ça c’est le premier point.
IVAR
Votre souhait est réalisable ou c’est un rêve ?
DOMINIQUE CHARGÉ
Non ce n’est pas un rêve. Parce que nous ne pouvons pas ne pas avoir cette ambition et ne pas répondre à cet objectif.
Ca ne peut pas être un rêve parce que l’alimentation est un bien fondamental et on l’a vu pendant la crise sanitaire. On a réhabilité ce en quoi l’alimentation était une fonction fondamentale, incontournable de la vie de chacun de nos concitoyens. Donc on doit assurer ça.
En revanche, ce qui est plus compliqué, c’est le financement de cet ensemble là. Le consommateur doit accepter de consacrer un peu plus de son budget à son alimentation parce que produire mieux induit forcément produire à des coûts supérieurs et je pense qu’on doit aussi regarder du côté où nous devons pouvoir aussi valoriser les autres fonctions ou les autres supports sur lesquels l’agriculture et l’agro alimentaire, par les progrès qu’elles font, par les adaptations qu’elles font, les transformations pour répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens, apportent en terme de bien-être et que c’est peut-être pas seulement au consommateur d’assumer ,aussi par le prix de sa production, ce que sont les biens fondés de ces paiements pour services environnementaux, quelque part.
IVAR
Dominique Chargé, merci beaucoup de nous avoir accordé quelques minutes. Et puis je suis certain qu’on aura l’occasion d’échanger à nouveau pour voir la suite de tous ces programmes et de tout ce chantier.
Merci à vous, à bientôt !
DOMINIQUE CHARGÉ
Merci beaucoup, à bientôt !