3 questions à Dominique SCHELCHER

Le PDG du groupe de distribution Système U, auteur du livre “Le bonheur est dans le près*”, célébrant les nombreux atouts du commerce de proximité, a accepté de répondre à nos questions et de revenir sur la notion de “souveraineté alimentaire”.

1/ Dominique Schelcher, pensez-vous que les consommateurs français restent privilégiés, malgré les différentes crises ou difficultés qui font l’actualité (changement climatique, inflation, sortie de Covid, pénuries de produits alimentaires, guerre, etc.) ?

Ce que l’on peut dire assez objectivement, c’est que les consommateurs français ne subissent pas frontalement toutes les conséquences entraînées par les différentes crises de ces derniers temps. Cela s’explique par la très grande mobilisation de tous : des acteurs publics mais aussi de toute la chaîne alimentaire pour éviter de « répercuter sans amortir » tous ces impacts. Chacun prend sa part : de notre côté, nous nous démenons pour trouver de nouveaux fournisseurs, de nouveaux circuits si l’un ou l’autre est bloqué, nous réduisons nos marges, nous mettons en avant des produits qui font sens dans cette période compliquée… Bref, on s’adapte !

C’est vrai que l’inflation globale à date est moins forte chez nous que dans certains autres pays, mais elle impacte très sévèrement certains ménages qui sont, en France, et on le sous-estime parfois, déjà dans une grande fragilité. Une grande partie des Français vivent des fins de mois à découvert. Il y a pire dans la vie pourrait-on dire, mais il y a aussi mieux ! On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. La question d’un « privilège » est donc toute relative.

2/ La correspondance entre l’agriculture, les filières agroalimentaires, la distribution et les consommateurs peut-elle être favorisée par le concept de  « souveraineté alimentaire », remis en avant par le nouveau gouvernement ?

Nous croyons de longue date chez U que c’est dans une dynamique collaborative et constructive que se trouvent les solutions. J’en veux pour preuve les nombreux contrats tripartites qui associent producteurs, transformateurs et distributeurs dans des contrats engagés et vertueux pour toute la chaîne pour nos produits à la marque U. 100% du porc, du bœuf, du lait à la marque U sont ainsi français, élevés et produits en France, conditionnés en France, vendus en France ! 

Cette « souveraineté » qui me paraît indispensable ne peut que passer par une prise de conscience collective à la fois des enjeux qui sont devant nous et des conséquences de nos choix, sur toute la chaîne, du producteur au consommateur. Notre chance, si l’on veut être optimistes, c’est que les crises que nous traversons nous font très concrètement toucher du doigt que des solutions existent et peuvent (doivent…) être trouvées chez nous. Peut-être pas totalement, mais au moins en partie, et même si elles demandent parfois des remises en cause assez profondes !

3/ S’il existait un Ministère de la consommation, quelles seraient vos préconisations en tant que décideur et acteur de premier ordre dans ce secteur ? Notamment sur le modèle coopératif… 

Un Ministère de la Consommation serait un signal fort quant à la prise de conscience d’un élément central de nos vies : notre consommation. C’est elle qui oriente bon nombre de décisions d’acteurs économiques par exemple. Il permettrait aussi le dialogue que j’évoquais tout à l’heure et que j’appelle de mes vœux entre tous les acteurs, et des décisions peut-être ainsi plus concertées et pragmatiques au regard de la réalité du terrain, que les commerçants connaissent bien. Notre modèle coopératif permet en particulier l’émulation collective et serait source à mon avis de bien des simplifications !

Car je suis convaincu que la solution ne peut pas forcément venir que « d’en haut » et du pouvoir politique. Des solutions aux problèmes actuels existent et sont déjà mises en place progressivement, partout en France, ou elles peuvent être inventées par les acteurs confrontés à de nouvelles contraintes. La première recommandation serait peut-être d’accentuer la formation. Éduquer suffisamment nos jeunes, les futurs consommateurs, sur tous les enjeux d’agriculture et de durabilité, permettrait de créer un lien très important avec l’alimentation, peut-être la première des consommations. C’est pour cela que les Magasins U soutiennent les Journées nationales de l’agriculture (#JNAgri) : des journées conviviales qui permettent d’ouvrir les portes des lieux de culture et de production de notre alimentation et de favoriser la rencontre du public avec ceux qui nous nourrissent. Car finalement, c’est nous qui décidons de notre consommation, et nous ferons des choix plus éclairés si nous avons toutes et tous bien conscience de ce que nos choix impliquent. Nous ne sommes pas tous capables de payer un peu plus cher tel ou tel produit plus vertueux, mais ceux qui le peuvent n’ont peut-être pas tout à fait conscience de l’intérêt à le faire, et de l’intérêt que toute la chaîne y trouve, pour investir et assurer sa durabilité tant économique que climatique. Ces journées permettent donc aussi d’informer ceux qui ont déjà le pouvoir entre leurs mains : les consommateurs d’aujourd’hui ! Nous avons d’ailleurs au moins un Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui est pour nous le sujet essentiel dans les années qui viennent.

Propos recueillis par Marie-Laure HUSTACHE 

* Le Bonheur est dans le près, Editions de l’Archipel, mars 2022

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