Viticulture : stratégies concrètes pour des sols régénérés et vivants

29/06/2025

La santé des sols viticoles, un enjeu devenu central

Au cœur du métier de vigneron, le sol ne se limite plus à un simple support de culture. En France comme dans le monde, la dégradation des sols agricoles menace la pérennité de la production viticole. Selon le Ministère de l’Agriculture, près de 60 % des sols européens présentent des signes de détérioration (source : Soil Atlas 2021, European Commission), touchant notamment la structure, la vie microbienne et la teneur en matière organique. Les pratiques viticoles intensives, telles que le travail mécanique répété et l’usage de produits phytosanitaires de synthèse, y contribuent largement.

Or, la qualité du vin, la résistance des vignes face au changement climatique et la durabilité économique des exploitations dépendent directement de la fertilité des terroirs. Dans ce contexte, régénérer les sols n’est plus une option marginale : c’est un pivot stratégique pour l’avenir du secteur.

Comprendre le sol viticole vivant pour agir efficacement

Adopter de nouvelles pratiques nécessite d’abord de comprendre l’écosystème du sol. Celui-ci héberge une biodiversité essentielle : une poignée de terre peut contenir jusqu’à 10 milliards de bactéries, des milliers de champignons, vers et microarthropodes (INRAE, 2022).

Un sol régénéré se distingue par :

  • une forte activité biologique : microfaune, bactéries et champignons interagissent avec la vigne pour améliorer sa nutrition et sa résistance ;
  • une structure stable : permettant à l’air et à l’eau de circuler, la terre n’est pas compacte mais grumeleuse ;
  • une teneur élevée en matière organique : humus nourricier et réserve d’eau augmentent la résilience du vignoble.
Comprendre ces équilibres guide les choix vers des pratiques adaptées à chaque terroir.

Pratiques conventionnelles : quels impacts sur la dégradation des sols ?

La gestion “classique” du vignoble repose souvent sur la monoculture, le désherbage chimique et le travail intensif du sol.

  • Le labour profond accélère la minéralisation de la matière organique, libère du carbone et fragilise la structure.
  • L’utilisation intensive de phytosanitaires impacte la vie du sol : selon une enquête menée par l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse (2020), plus de 90 % des sols viticoles présentaient des traces de pesticides, affectant notamment les vers de terre.
  • La disparition de la couverture végétale expose le sol à l’érosion et accentue la perte de biodiversité : en Champagne, par exemple, certaines parcelles perdent jusqu’à 50 tonnes de terre/hectare/an (source : IFV, 2021).
Au-delà de la perte de fertilité, cette dégradation a un coût économique direct : chaque tonne de sol détruite correspond à une baisse potentielle de rendement et de qualité du vin.

Les piliers des pratiques viticoles régénératrices

Transitionner vers une viticulture régénératrice ne signifie pas révolutionner d’emblée toutes les opérations. Il s’agit d’un jeu de leviers, à activer selon les caractéristiques du domaine : sol, climat, cépages, ambitions de qualité, contraintes économiques. Voici les pratiques phares identifiées par les instituts techniques, les associations professionnelles (Réseau Dephy, Réseau Vignerons Engagés) et les retours de terrain.

1. Stopper le désherbage total : le retour aux couverts végétaux

  • Semi naturel : laisser les herbes spontanées se développer partiellement inter-rangs et sous le rang, pratique appelée “enherbement spontané”.
  • Couverts semés : introduction de légumineuses, graminées ou crucifères, choisis pour :
    • Fixer l’azote atmosphérique (trèfle, vesce)
    • Structurer le sol en profondeur (radis fourrager, seigle)
    • Offrir une protection hivernale contre l’érosion

L’efficacité s’observe rapidement : à Gaillac, une expérimentation de l’IFV (2017-2022) a montré une hausse de 15 % du taux de matière organique en 5 ans sur les parcelles couvertes.

2. Réduire l’intensité du travail du sol

  • Préférer le travail superficiel, via griffage ou buttage léger, pour aérer sans bouleverser les horizons profonds
  • Adopter le non-labour ou le semis direct lorsque le contexte le permet : ces techniques stabilisent les agrégats, limitent la minéralisation excessive de la matière organique et favorisent la biodiversité

Ainsi, sur le domaine de la Romanée-Conti (Bourgogne), la suppression du labour profond a permis de diviser par deux les phénomènes de ruissellement et d’érosion, tout en renforçant l’implantation de microfaune (source : Le Monde, 2023).

3. Amender pour régénérer : l’importance du compost et des apports organiques

  • Compost de marc et de bois de taille : plutôt que de brûler les résidus, le retour sur sol via compostage redonne des éléments nutritifs et booste la matière organique.
  • Fumier composté, engrais verts : engrais naturels pour nourrir la vie du sol sur le long terme.

Dans des essais réalisés par l’INRAE en vallée de la Loire, l’apport annuel de compost sur vignes conduisait à une augmentation de 23 % de la capacité de rétention en eau des sols au bout de 6 ans.

4. Favoriser la biodiversité fonctionnelle

  • Implantation de haies, bandes fleuries, installation de nichoirs pour oiseaux insectivores et chauves-souris, lutte contre certaines maladies (mildiou) par introduction de prédateurs naturels.
  • Mélange d’espèces sur l’inter-rang : jusqu’à 10 espèces végétales différentes, pour un écosystème plus complet (initiative VitiREV Nouvelle-Aquitaine).

Un sol plus vivant limite naturellement l’expansion des maladies et la dépendance aux intrants.

Gestion de l’eau et sol : maximiser la résilience face au changement climatique

Les records de température et les sécheresses répétées rendent la gestion de l’eau cruciale. Les sols régénérés sont mieux armés :

  • Matière organique et humus : chaque accroissement de 1 % du taux d’humus permet au sol de stocker environ 100 000 litres d’eau supplémentaires par hectare (source : INRAE, 2022).
  • Structure grumeleuse : limite les excès d’eau mais conserve l’humidité durant l’été.
Certaines AOC du Sud de la France observent déjà une moindre sensibilité au stress hydrique sur les parcelles ayant adopté couverts végétaux et apports réguliers d’amendements organiques.

Quels sont les freins à la généralisation ?

Malgré les progrès, seules 17 % des surfaces françaises seraient engagées dans une forme avancée d’agriculture régénérative en 2022 (source : Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité). Les obstacles majeurs :

  • L’investissement initial (achat de semences, matériel de semis direct, composteurs…)
  • Le besoin d’accompagnement technique, notamment pour la gestion de couverts et la concurrence hydrique avec la vigne jeune
  • Le délai de retour sur investissement : les bénéfices agronomiques réels apparaissent en général après plusieurs années
Cependant, des réseaux d’entraide se structurent, à l’image du mouvement “Vignerons Engagés”, et les aides PAC ou régions évoluent (ex : dispositif “Bon Diagnostic Carbone” piloté par l’Ademe).

Retours d’expériences : des vignobles pionniers

Des exemples concrets illustrent la faisabilité et les bénéfices d’une transition.

  • Bordeaux – Château Pontet-Canet : En bio et biodynamie, travail du sol minimisé, chevaux dans les rangs, semis de couverts, compost sur marc. Résultat : 42 espèces d’insectes répertoriées contre 14 avant le changement (source : Les Echos, 2022).
  • Alsace – Domaine Zind-Humbrecht : Gestion pointue des apports organiques, semis de trèfles et luzerne sous le rang, observation annuelle de la biomasse microbienne, rendement plus stable sur les millésimes à fort stress hydrique (INRAE, 2019).

Tendances et innovations : où va la régénération des sols viticoles ?

La filière innove sur plusieurs fronts :

  • Indicateurs dynamiques : développement de tests rapides pour mesurer la vie microbienne directement à la parcelle (plateformes comme Solvita, outils INRAE/AgroParisTech).
  • Booster la symbiose mycorhizienne : inoculation de champignons pour améliorer la nutrition et la résistance des ceps (domaine expérimental de l’IFV, Bordeaux).
  • Services écosystémiques rémunérés : initiatives pilotes où les vignerons reçoivent une rémunération pour le stockage de carbone et la préservation de la biodiversité (Label “Vignerons Engagés” ; CarbonAgri).
Le rapport “Vignes et Sols 2050” (FranceAgriMer, 2023) estime que, si ces méthodes se généralisent, le secteur viticole pourrait capter jusqu’à 4,5 millions de tonnes de CO2 équivalent/an en France.

Vers un vignoble plus robuste, durable et attractif

Le renouvellement des pratiques viticoles autour de la régénération des sols n’est pas qu’une exigence environnementale : c’est aussi une opportunité pour renforcer l’identité des terroirs, améliorer la résilience économique des exploitations et répondre aux attends croissantes du marché. L’innovation technique, la montée en compétence des vignerons et la structuration d’écosystèmes locaux d’entraide sont les clés pour transformer durablement le paysage viticole. Les initiatives déjà en place montrent que la transition est possible, à condition de conjuguer engagement collectif, appui scientifique et reconnaissance économique.

Sources : INRAE, IFV, Soil Atlas 2021 (Commission Européenne), Réseau DEPHY, Les Echos, FranceAgriMer, Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse.

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