Restaurer la vitalité des sols : Quelles solutions agroécologiques adopter ?

08/06/2025

Pourquoi la fertilité des sols est-elle en jeu aujourd’hui ?

Entre érosion, perte de matière organique et déclin de la biodiversité, la question de la fertilité des sols agricoles n’a plus rien d’anecdotique. On estime qu’au niveau mondial, près de 33 % des terres sont aujourd’hui modérément à fortement dégradées (FAO, 2015). Cette dégradation se paie aussi sur le plan économique : selon l’INRAE, un sol en bonne santé fournit gratuitement jusqu’à 60 % du rendement total annuel des grandes cultures françaises grâce à sa fertilité naturelle et son pouvoir de rétention en eau (INRAE).

Face à l’impasse des amendements de synthèse et du labour intensif, l’agroécologie propose des alternatives fondées sur le respect des processus naturels, l’amélioration structurelle des sols et la valorisation de leurs écosystèmes. Voici les pratiques majeures, leurs bénéfices prouvés et des exemples concrets pour agir dès aujourd’hui.

La rotation des cultures : moteur de la résilience des sols

Pratique ancestrale remise au goût du jour, la rotation allonge le cycle des cultures sur une même parcelle, alternant familles botaniques et modes d’enracinement. Selon le rapport 2022 du GIEC agriculture, elle réduit significativement les risques de pathogènes et de résistances, tout en maintenant voire en augmentant les rendements. L’INRAE chiffre à 10 à 25 % le gain de rendement moyen sur dix ans pour des systèmes en rotation, comparés à la monoculture.

  • Limite la pression des maladies : en brisant les cycles, la rotation réduit naturellement l’usage de pesticides.
  • Enrichit le sol en profondeur : chaque culture a son architecture racinaire, participant à l’aération et à la structuration du sol.
  • Optimise l’azote et la fertilité naturelle : l’introduction de légumineuses (luzerne, trèfle, pois) permet une fixation biologique de l’azote atmosphérique.

Un exemple concret : intégrer des cultures de pois ou de féverole dans une rotation céréalière permet, selon Terres Inovia, d’apporter jusqu’à 80 kg d’azote/ha pour la culture suivante. Un avantage que l’on retrouve dans les grandes plaines céréalières du Centre ou de la Picardie.

Couverts végétaux et engrais verts : la biomasse au service du sol

Entre deux cultures, semer une plante de couverture (ou « couvert végétal ») est une technique de plus en plus valorisée. Ce couvert ne sera pas récolté, mais simplement restitué au sol. Il répond à plusieurs enjeux :

  • Limiter l’érosion : les racines protègent la surface des sols contre le ruissellement ; des études montrent que les couverts peuvent réduire l’érosion de 60 à 90 % (source : ARVALIS-Institut du végétal).
  • Augmenter la matière organique : après destruction, les couverts enrichissent le sol ; 1 ha de seigle en couvert peut produire jusqu’à 5 tonnes de biomasse sèche/ha en 2 à 3 mois.
  • Booster l’activité microbienne et réguler les adventices : la diversité végétale stimule la vie microbienne, fongique et lombricienne, tout en réduisant la pression des mauvaises herbes.

Les mélanges multi-espèces (vesce, seigle, radis fourrager) offrent une complémentarité idéale : le radis perce les horizons compacts, la vesce fixe l’azote, le seigle étouffe les adventices. Sur le terrain, le groupe Dephy Expé rapporte dans ses essais du Berry en 2023 des augmentations de 35 % de la porosité du sol après trois ans de couverts d’hiver systématiques.

Réduire le travail du sol : du labour vers le semis direct

Les pratiques de travail superficiel voire d’absence de travail du sol (semis direct) connaissent une forte progression. En France, on estime à environ 620 000 hectares le nombre de parcelles cultivées en semis direct en grande culture (source : Agreste 2022).

  • Préservation de la structure et de la faune du sol : le semis direct favorise le maintien des galeries de vers de terre et des micro-organismes.
  • Réduction des pertes de carbone : le labour profond libère du CO, tandis que le travail superficiel favorise le stockage du carbone (source : CIRAD).
  • Moins d’érosion et de compaction : le sol reste couvert, moins vulnerable à la pluie, et compacté seulement à la surface.

Cependant, cette technique demande un accompagnement technique précis pour limiter certaines contraintes (reprise des vivaces, gestion des résidus) : le réseau Sols de l’AFAF (Association Française d’Agroforesterie) souligne que le semis direct donne le meilleur de lui-même combiné à la présence de couverts végétaux.

Apports organiques : compost, fumier, digestats… des ressources (ré)valorisées

Longtemps relégués au second plan, les apports organiques font leur retour sur les exploitations pour reconstituer la fertilité du sol. Les analyses de l’APAD (Association pour la Promotion d'une Agriculture Durable) et de l’INRAE montrent :

  • Un apport annuel de 20 à 30 t/ha de fumier (bovins ou équins) augmente le stock de matière organique de 0,1 à 0,2 point sur 4 ans.
  • Le compost stabilisé présente 50 à 70 % de la matière organique totale sous forme humifiée, à relargage progressif.
  • Les digestats issus de méthanisation apportent azote, potassium, phosphore, tout en réduisant la pression des déchets agricoles.

La clé réside dans le choix de la matière organique, son origine et l’adaptation aux besoins des cultures : des apports réguliers, fractionnés, valorisés par l’implantation de couverts intermédiaires favorisent la stabilité du taux d’humus.

Agroforesterie : allier arbres et cultures pour un sol vivant

Intégrer des arbres (haies, bosquets, arbres isolés) dans les systèmes agricoles, c’est opter pour une synergie durable entre biodiversité, production agricole et fertilité. Les résultats du projet européen AGFORWARD (agforward.eu, 2018) révèlent :

  • Une augmentation de 25 à 30 % de la biomasse microbienne du sol sous les arbres en zone de grandes cultures.
  • Des rendements équivalents ou supérieurs sur les parcelles agroforestières par rapport aux cultures classiques après 5 années d’installation.
  • Des taux de matière organique bien plus élevés grâce à la litière et à la chute des feuilles ; par exemple, une haie de 50 m apporte l’équivalent de 0,25 t de carbone/ha/an sur la bande tampon.

En France, près de 120 000 hectares sont aujourd’hui concernés par l’agroforesterie (AGRESTE 2022), et la demande croît chaque année, notamment grâce au programme « Plantons des haies » porté par le Ministère de l’Agriculture.

Couvrir le sol toute l’année : vers une agriculture permanente

Un sol nu s’appauvrit plus vite. Couvrir le sol en permanence, via des prairies temporaires, des intercultures, des résidus de récolte ou des associations de cultures, est une garantie contre l’érosion, la battance, et la baisse des carbonés. Ainsi, un sol couvert prolongé maintient une température plus stable, une humidité relative et une protection contre l’érosion éolienne.

  1. Implantation de prairies temporaires : une prairie de 3 ans augmente la biomasse microbienne de 40 % et le stock de carbone organique de 20 % par rapport à une culture annuelle (source : Réseau d’Observation des Sols du Grand Ouest, ROSO).
  2. Association de cultures (blé/trèfle, maïs/soja) : ces associations multiplient la diversité racinaire, ce qui meuble le sol en profondeur et réduit l’usage de produits phytosanitaires de 15 à 30 % (source : Institut Technique de l’Agriculture Biologique).

L’innovation microbiologique et le retour des auxiliaires du sol

Au-delà des pratiques culturale, l’agroécologie explore de nouvelles pistes à la lisière de la biologie. Des recherches récentes sur la gestion microbienne du sol (ex. Nature Communications, 2021) démontrent que stimuler la richesse microbienne (bactéries, champignons mycorhiziens, actinomycètes) accélère la minéralisation des éléments nutritifs.

  • Inoculation de biofertilisants : l’apport de champignons mycorhiziens peut accroître la croissance racinaire et la captation du phosphore, réduisant de 20 à 60 % les besoins en engrais minéraux sur certaines cultures (The Conversation, 2021).
  • Stimuler les auxiliaires du sol : la préservation des vers de terre et coléoptères décomposeurs est essentielle. En moyenne, on retrouve 450 à 650 vers/m dans les systèmes en agriculture de conservation, contre moins de 200 en conventionnel intensif (observations CNRS).

Cette approche, encore peu vulgarisée chez nombre d’agriculteurs, apporte pourtant des solutions à long terme sur la durabilité des rendements et la résilience face au changement climatique.

Les limites et conditions de réussite : témoignages de terrain

Adopter les pratiques agroécologiques ne s’improvise pas. La formation, le suivi des sols et l’observation continue sont essentiels. De nombreux agriculteurs pionniers ont buté sur des freins (désherbage difficile, manque d’accompagnement technico-économique, investissements initiaux). Pourtant, quand la stratégie est adaptée au contexte parcellaire, les retours sont éloquents :

  • Selon le RMT Sols & Territoires, les systèmes de polyculture-élevage intégrant rotations, couverts, apports organiques et gestion fine du pâturage affichent des taux de matière organique supérieurs de 0,3 point aux références du même bassin.
  • Un collectif de céréaliers en région Centre rapporte, sur 6 campagnes, une réduction de 22 % de l’usage d’engrais minéraux et une augmentation de 14 % de la marge brute grâce à l’introduction de couverts multi-espèces.
  • Des exploitations bio du Sud-Ouest voient leur taux d’humus progresser de 4 à 5 ‰ à 6 à 7 ‰ sur 10 ans (Itab, 2022).

L’agroécologie est donc un chemin d’apprentissage, souvent collectif, valorisé par le conseil agricole, la participation à des groupes de terrain (GIEE, Dephy, Cuma…), et l’expérimentation continue.

Perspectives : vers une nouvelle culture de la fertilité

La fertilité des sols n’est plus un simple enjeu agronomique : elle croise les questions de changement climatique, de sécurité alimentaire, de souveraineté et même de paysage. Les pratiques agroécologiques, fondées sur les dynamiques du vivant, offrent une solution éprouvée pour restaurer la santé des sols sans recours systématique à l’artificialisation ou à la chimie.

L’agriculture de demain s’appuiera fortement sur la diversité des solutions, leur adaptation locale, et le partage de savoir pour une fertilité durable, au service à la fois de la performance agricole, de l’environnement et de la société.

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