Sol vivant : comment la régénération révolutionne biodiversité et vigueur des cultures

31/07/2025

Vers une agriculture fondée sur la vie du sol

Si le mot « sol » évoque d’abord une simple couche de terre, il désigne en réalité un écosystème à part entière. Un sol vivant abrite une faune et une flore invisibles, qui participent activement à la santé des plantes, des cycles de l’eau et de la nutrition. Pourtant, la fertilité naturelle des sols n’est ni éternelle, ni acquise. Depuis plus d’un demi-siècle, le recours massif au travail du sol, aux engrais chimiques et aux pesticides a souvent appauvri les sols, détruit la vie microbienne et fragilisé la biodiversité environnante (INRAE, 2021).

Face à ce constat, la question centrale n’est plus seulement « comment produire plus ? », mais « comment produire mieux, sur la durée, en régénérant la capacité naturelle du sol à être fertile ? ». C’est tout l’enjeu de l’agriculture régénératrice, mouvement en pleine expansion qui propose une approche globale visant à restaurer la vitalité du sol, soutenir la diversité du vivant et renforcer la résilience des cultures.

Les piliers de la régénération des sols

Plus qu’une simple méthode, la régénération agrège différentes pratiques complémentaires, structurées autour de grands principes, chacun contribuant conjointement à améliorer la biodiversité et la santé des cultures :

  • Réduction ou abandon du travail du sol : Limite la perturbation de la vie souterraine et favorise la structure naturelle.
  • Couverts végétaux permanents : Maintient un sol toujours protégé, favorisant organismes et microfaune.
  • Diversification des cultures et rotations longues : Casse les cycles de maladies, nourrit différemment la biologie du sol.
  • Apports organiques (composts, fumiers) : Enrichissent la MO (matière organique) et stimulent la biodiversité souterraine.
  • Réduction des intrants chimiques : Diminue l’impact sur la faune auxiliaire et la microflore.

Ces actions agissent de concert pour préserver et ressusciter la « toile du vivant » qui relie bactéries, champignons, insectes, vers de terre, microarthropodes, plantes et même animaux du sol.

La biologie sous terre : un moteur de productivité et de résilience

Un seul gramme de sol vivant peut contenir jusqu’à 10 milliards de bactéries, 1 million de champignons, des milliers de protozoaires et plusieurs centaines de nématodes (FAO, 2020). Or, cette diversité biologique n’est pas qu’un indicateur : elle joue un rôle structurant dans la santé végétale.

  • Décomposition de la matière organique : Les organismes transforment les résidus végétaux en nutriments assimilables pour les plantes.
  • Stimulation racinaire : Les mycorhizes, champignons symbiotiques, améliorent l’absorption d’eau et de nutriments – 85% des plantes terrestres y ont recours (Rodriguez et al., New Phytologist, 2009).
  • Régulation des maladies : Les interactions microbiennes réduisent la prolifération des pathogènes et participent à la lutte biologique naturelle.
  • Structuration physique : Vers de terre et microfaune créent galeries et agrégats, améliorant la porosité, la rétention d’eau et l’aération du sol.

Selon l’AFES (Association Française pour l’Étude du Sol), les sols riches en macrofaune hébergent jusqu’à 5 fois plus de micro-organismes bénéfiques et présentent une résilience accrue face aux épisodes climatiques extrêmes.

Zoom sur les impacts positifs observés sur la biodiversité

La transition vers la régénération a un effet immédiat et à long terme sur la biodiversité, à plusieurs niveaux :

  • Faune du sol : Le passage en semis direct ou l’implantation de couverts végétaux entraîne une explosion des populations lombriciennes (+70% en moyenne après 5 ans, source ITAB 2018), ainsi qu’un développement des arthropodes prédateurs utiles.
  • Insectes pollinisateurs et auxiliaires : La diversité florale des couverts attire davantage d’abeilles et de syrphes. Près de 30% d’augmentation des populations d’abeilles sauvages observées dans les parcelles conduites en régénératif par rapport au conventionnel (Projet GSR, Tuko Agroecology, 2021).
  • Flore spontanée : Grâce à la gestion des sols et à la réduction d’usage d’herbicides, certaines espèces végétales disparues réapparaissent, favorisant un nouvel équilibre écosystémique.

À l’échelle paysagère, la multiplication des haies, bandes enherbées et bosquets – souvent associés aux pratiques régénératives – facilite les déplacements et la nidification des espèces.

Amélioration de la santé des cultures : des effets mesurables

La vitalité retrouvée du sol se traduit par plusieurs bénéfices tangibles sur les cultures :

  1. Augmentation de la productivité sur le long terme : Un sol régénéré absorbe et retient mieux l’eau, tamponnant les pénuries ou les excès hydriques. Selon le Réseau agriculture régénératrice français, plusieurs exploitations ont observé une hausse de rendement de 15 à 25% sur blé et colza après 4 à 6 ans de transition.
  2. Moindre recours aux traitements : La hausse de la biodiversité permet de mieux contrôler les ravageurs et les maladies. Une étude menée sur 60 fermes européennes montre une baisse de 40% en moyenne de l’utilisation de fongicides et insecticides après 3 à 5 ans d’agriculture régénérative (EIP-AGRI, 2020).
  3. Robustesse face aux stress : un sol vivant amortit plus efficacement les chocs climatiques, grâce à une meilleure infiltration d’eau (+30% en moyenne, Soil Health Institute, 2022) et une minéralisation progressive de l’azote, réduisant les pertes par lessivage.

Restaurer le sol : quelles méthodes concrètes ?

Si les grands principes sont désormais connus, la mise en pratique est tout sauf uniforme : la régénération reste contextuelle et adaptée aux objectifs agronomiques locaux. Quelques exemples phares :

  • Semis direct sous couvert : Les cultures sont implantées sans retournement du sol, sous un manteau végétal de légumineuses, graminées ou crucifères. Méthode répandue en grandes cultures (blé/céréales).
  • Compostage et amendements organiques : Un bon compost peut contenir 250 millions d’organismes vivants par gramme ! L’apport raisonné nourrit la microfaune et substitue partiellement les engrais minéraux, réduisant l’impact carbone.
  • Agroforesterie : L’intégration d’arbres au sein des cultures (haies ripisylves, alignements d’arbres intra-parcellaires) multiplie les interactions bénéfiques : ombrage, refuge pour auxiliaires, meilleur stockage du carbone, etc.
  • Pâturage tournant dynamique : Dans l’élevage, il s’agit de faire pâturer les animaux sur des surfaces réduites et de les déplacer très fréquemment pour stimuler la pousse et la diversité sans surpâturage ni compactage.

Certaines de ces techniques datent de l’agriculture paysanne traditionnelle, mais sont réactualisées et affinées grâce aux outils actuels (analyses biologiques fines, robots de désherbage sélectif, semoirs de précision).

Quels freins et limites ?

La régénération des sols est une promesse, mais sa généralisation soulève plusieurs défis :

  • Temps d’adaptation et de transition : Les résultats ne sont généralement perceptibles qu’après plusieurs années, ce qui peut être un frein pour certains agriculteurs dont la trésorerie est plus contrainte.
  • Formation technique : Maîtriser l’agronomie du vivant nécessite de solides connaissances et un accompagnement technique, encore insuffisamment disponible mais en plein essor.
  • Risques agronomiques initiaux : Certaines maladies ou adventices peuvent proliférer pendant la phase de transition, faute de prédateurs installés ou de gestion adaptée des couverts.
  • Manque de rémunération des services écologiques : La valorisation économique de la biodiversité restaurée et du carbone séquestré reste marginale, même si des initiatives (Label bas carbone) émergent.

Néanmoins, une dynamique de filière commence à structurer cette transition : l'industrie agroalimentaire, confrontée aux attentes sociétales, expérimente désormais des cahiers des charges intégrant des critères régénératifs (Nestlé, Danone, McCain…).

Régénération des sols : un enjeu qui dépasse la ferme

Au-delà du champ, les pratiques de régénération des sols offrent des perspectives pour la planète tout entière. Selon l’initiative 4 pour 1000 (FAO), rehausser le stock de carbone de la matière organique de 0,4% par an dans les sols mondiaux freinerait l’augmentation du CO₂ atmosphérique liée à l’activité humaine.

Le regain de biodiversité dans les parcelles contribue aussi au maintien des continuités écologiques, à la protection de la ressource en eau, à la lutte contre l’érosion et à l’attractivité des territoires ruraux.

À l'heure où le changement climatique bouleverse les repères, la dynamique de régénération invite à repenser la production alimentaire comme un tout, où chaque champ redevient un écosystème riche, productif et durable. Les solutions passent par la restauration collective des sols, l’innovation technique mise au service du vivant, et le partage des retours d'expérience entre agriculteurs, chercheurs et citoyens.

Pour approfondir le sujet, retrouver l’ouvrage collectif « Le sol, la terre et les champs » de Lydia et Claude Bourguignon, les ressources de l’INRAE, ou encore les données du projet 4 pour 1000.

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