Dynamiser la résilience agricole grâce à l’agroécologie : pratiques, impacts et perspectives

02/06/2025

Les fondements de la résilience agricole : un contexte en mutation

Au fil des dernières décennies, l’agriculture mondiale a vu ses équilibres bouleversés. Augmentation de la fréquence des aléas climatiques, pression sur les ressources, volatilité des marchés, émergence de nouveaux ravageurs : le secteur fait désormais face à des risques systémiques et multiformes. Selon la FAO, entre 2008 et 2018, les pertes agricoles dues aux catastrophes climatiques ont dépassé 108 milliards de dollars à l’échelle mondiale (FAO, 2021). Face à ces défis, le concept de résilience des systèmes agricoles a peu à peu émergé comme une priorité, incitant à explorer des modèles plus durables et flexibles.

L’agroécologie se présente précisément comme une voie prometteuse. Plutôt que de miser sur l’intensification des intrants, elle propose de mobiliser les services rendus par les écosystèmes (biodiversité, cycles des nutriments, régulation naturelle) pour renforcer la robustesse et l’adaptabilité des exploitations. Mais quels sont ses leviers concrets ? Comment favorise-t-elle la résilience à différentes échelles ?

Agroécologie et résilience : principes clés et mécanismes d’action

L’agroécologie repose sur une combinaison de principes agronomiques, écologiques et sociaux. Son objectif : concevoir des systèmes agricoles capables d’absorber les chocs, de résister, puis de rebondir face à toute perturbation, tout en préservant leur productivité à long terme.

Gestion de la biodiversité fonctionnelle

  • Introduction de cultures diversifiées : Diversifier les rotations culturales ou intégrer des cultures associées limite la propagation des maladies et ravageurs, tout en réduisant la dépendance à un seul type de production. Un exemple : l’association céréales-légumineuses enrichit le sol en azote, rendant les cultures moins vulnérables à la fluctuation du prix des engrais.
  • Agroforesterie : Intégrer arbres et haies dans les parcelles offre des habitats à la faune auxiliaire et protège les cultures du vent ou de la sécheresse. Selon l’INRAE, 20 % des exploitations françaises pratiquant l’agroforesterie enregistrent une meilleure stabilité du rendement face aux épisodes de forte chaleur (INRAE, 2022).
  • Valorisation des auxiliaires : Encourager la présence des insectes pollinisateurs et prédateurs naturels (coccinelles, syrphes, chauves-souris) diminue les recours aux pesticides chimiques, d'où une meilleure résilience face au risque de résistance des bioagresseurs.

Santé des sols et gestion de la fertilité

  • Couverts végétaux permanents : Maintenir un sol toujours couvert diminue l’érosion, préserve la matière organique, favorise la vie microbienne et accroît la capacité du sol à retenir l’eau, ce qui amortit les effets de la sécheresse.
  • Réduction du travail du sol : Moins de labour permet d’éviter la minéralisation excessive de la matière organique, maintien mieux la structure du sol et la résilience face au lessivage des nutriments.
  • Cyclage des nutriments : L'intégration des déjections animales, composts ou engrais verts nourrit la vie du sol tout en réduisant la dépendance aux engrais de synthèse, dont le prix peut fluctuer fortement.

Adaptations sociales et économiques

  • Organisation collective : Les réseaux d’entraide, de mutualisation de ressources ou de partage des risques (coopératives, AMAP, groupes d’échange technique) favorisent l’accès aux innovations et l’amortissement des crises.
  • Marchés de proximité : Valoriser la production au sein de circuits courts réduit la dépendance aux variations des grands marchés internationaux, source d’instabilité pour de nombreux agriculteurs européens ou africains.

Des impacts mesurables face aux défis climatiques et sanitaires

Résilience face aux aléas climatiques : des résultats probants

L’une des plus grandes forces de l’agroécologie réside dans sa capacité à rendre les exploitations plus résistantes aux évènements climatiques extrêmes.

  • Sécheresse et canicules : Des essais menés au Sénégal dans la région de Kaolack montrent que les systèmes agroécologiques ont permis une augmentation de la productivité de 55 % des exploitations pour l’arachide et le mil, principalement grâce à la couverture végétale et à la remontée de la teneur en matière organique (Agroecology Pool, 2021).
  • Inondations : Au Bangladesh, la diversification des cultures et la présence d’agroforêts ont montré une récupération plus rapide des terrains après les crues, les racines des arbres limitant le lessivage des sols.
  • Stockage de carbone : Les pratiques agroécologiques permettent de séquestrer entre 0,2 et 1,2 tonne de carbone par hectare par an dans les sols cultivés, selon le projet « 4 pour 1000 » (source : FAO). Un atout pour atténuer le changement climatique et préserver la fertilité.

Résilience face aux pressions biotiques (maladies, ravageurs)

La diversification génétique et la protection des auxiliaires limitent les flambées épidémiques. Ainsi, en Champagne-Ardenne, des essais sur blé en grandes cultures montrent que l’introduction de bandes fleuries a réduit de 13 % la pression des pucerons sur trois ans, et ce, sans perte de rendement (Terres Inovia, 2023).

Autre exemple : la riziculture asiatique ayant réduit les traitements insecticides a vu le retour de prédateurs tels que les araignées, ce qui a limité l’impact du « brown planthopper », un ravageur majeur, selon l’IRRI (International Rice Research Institute).

Stabilité économique et sociale

  • Diversification des revenus : Adopter plusieurs productions (légumes, céréales, volailles, miel, etc.) permet de mieux absorber les pertes si l’une d’elles est sinistrée. En France, selon le Réseau Civam, les fermes agroécologiques affichent des revenus jusqu’à 15 % plus stables d’une année sur l’autre que la moyenne conventionnelle locale.
  • Valeur ajoutée locale : Les circuits courts et la transformation à la ferme (laitages, farine, bières artisanales, fruits secs…) génèrent une résilience économique, réduisant la dépendance aux marchés mondialisés et la déperdition de valeur pour les territoires.

Limites et défis contemporains de l’agroécologie

Au-delà de ses atouts, l’agroécologie fait face à des obstacles :

  • Temps d’apprentissage : La transition agroécologique demande un investissement en temps et en formation, car elle implique de repenser certaines pratiques (observation de la biodiversité, diagnostic des sols, gestion adaptative…).
  • Contraintes techniques : Certaines cultures spécialisées, ou produites en climat tempéré, trouvent plus difficilement des solutions agroécologiques entièrement efficaces (problématiques du désherbage mécanique, risque de baisse temporaire de rendements…).
  • Manque de dispositifs de valorisation : Le marché ne valorise pas toujours les apports de l’agroécologie (capital naturel, prévention face aux crises sanitaires…), freinant l’investissement des producteurs.

Néanmoins, les politiques publiques appuient progressivement ce mouvement. En France, le Plan Agroécologique pour la France (2023) cible 25 % des exploitations engagées dans une démarche agroécologique d’ici 2030. Au niveau mondial, l’ONU préconise l’agroécologie parmi les solutions clés pour transformer les systèmes alimentaires (FAO, 2019).

Focus : exemples concrets de résilience agroécologique sur le terrain

En Europe occidentale

Aux Pays-Bas, la ferme expérimentale « Kraansvlak » a reconverti ses surfaces céréalières en système polyculture-élevage avec haies, bandes fleuries et rotation allongée : après une sécheresse sévère en 2020, le rendement a diminué de 8 %, contre 22 % dans les fermes voisines conventionnelles (source : Wageningen UR).

En Afrique de l’Ouest

Au Burkina Faso, la reconstitution de « cordons pierreux » et de haies multifonctionnelles sur les parcelles a réduit l’érosion de 40 % et permis le retour à des rendements stables pour le sorgho dans des régions touchées par la désertification (CIRAD, 2021).

En Amérique Latine

Au Brésil, les grandes exploitations du Paraná introduisent depuis dix ans l’agroforesterie enrichie : la productivité du café et du soja y est maintenue malgré deux épisodes successifs de sécheresse, grâce à la meilleure rétention en eau des sols (Embrapa, 2023).

Quelles perspectives pour renforcer la résilience agroécologique ?

L’agroécologie a démontré sa capacité à améliorer la résilience des systèmes agricoles en tirant parti de processus naturels et de principes biologiques éprouvés. En conjuguant gestion intelligente de la biodiversité, préservation des sols, diversification et innovation sociale, elle propose une voie équilibrée entre productivité et durabilité.

Pour amplifier ses bénéfices, plusieurs leviers émergent :

  • Développer la recherche participative, impliquant les agriculteurs et les scientifiques.
  • Favoriser l’accès aux données agronomiques locales (sols, climat, pratiques innovantes).
  • Mettre en place des incitations économiques adaptées (labels, paiements pour services environnementaux, soutien à la certification…).
  • Renforcer l’accompagnement technique et la formation continue en agroécologie.

L’enjeu actuel : concilier sécurité alimentaire, robustesse économique et adaptation au changement climatique, tout en limitant l’empreinte environnementale. L’agroécologie n’est pas une recette universelle, mais elle offre un cadre dynamique pour repenser la résilience agricole à l’échelle locale comme globale, et poursuivre la transition des fermes vers des modèles où l’innovation se conjugue avec la soutenabilité.

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