Agroécologie : un pilier pour renforcer durablement la sécurité alimentaire

27/05/2025

Comprendre le socle de l’agroécologie

L’agroécologie s’impose progressivement comme l’une des réponses les plus robustes face aux défis agricoles contemporains. Plus qu’un ensemble de pratiques, il s’agit d’une approche systémique, intégrant les interactions complexes entre plantes, animaux, humains et environnement dans un territoire donné. Les fondements de l’agroécologie s’appuient sur dix principes clés identifiés par la FAO, tels que le recyclage des ressources, la diversification des cultures, la résilience, la valorisation des savoirs locaux ou encore la responsabilité sociale (FAO).

  • Recyclage : valorisation locale des biomasses pour limiter les pertes de nutriments.
  • Diversification : alternance et association des cultures pour enrichir et stabiliser les écosystèmes.
  • Circularité : intégration optimale des cultures, de l’élevage et de l’arbre dans l’exploitation.
  • Autonomie : réduction de la dépendance aux entrants extérieurs, chimiques ou technologiques.

Cette architecture rend le système agricole moins vulnérable aux aléas et permet une meilleure adaptation aux différents contextes climatiques, économiques ou sociaux. L’agroécologie encourage également une gestion raisonnée de la biodiversité, du sol et de l’eau, replaçant l’agriculteur au cœur du dispositif d’innovation.

Résilience accrue des systèmes agricoles face aux désordres climatiques

La succession d’années marquées par des épisodes climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, inondations) souligne l’urgence de transformer les modèles agricoles pour renforcer leur résilience. L’agroécologie joue un rôle fondamental dans ce contexte :

  • Couverts végétaux et haies : freinent l’érosion, diminuent la vulnérabilité des cultures et protègent les sols des ruissellements.
  • Systèmes agroforestiers : multiplient les strates végétales, atténuent les pics de température et créent des microclimats favorables à la production.
  • Polyculture-élevage : limite la propagation des ravageurs, optimise l’utilisation de l’espace et diversifie les sources de revenus.

Une étude menée sur 12 pays d’Afrique subsaharienne a montré que les fermes pratiquant des techniques agroécologiques affichaient une baisse de 40 à 70 % des pertes agricoles lors des sécheresses par rapport aux modèles intensifs (IRD, 2022). Le recours à des cultures associées, plus résistantes localement, offre ainsi un véritable garde-fou contre l’instabilité climatique.

L’agroécologie, une solution à l’enjeu du rendement alimentaire mondial ?

Le débat sur la capacité de l’agroécologie à “nourrir le monde” anime la communauté scientifique et agricole. Selon une méta-analyse publiée dans Nature Plants (2020), bien que les rendements individuels des cultures en agroécologie soient parfois de 10 à 20 % inférieurs à ceux des systèmes intensifs pour certains légumes ou céréales à court terme, la plus grande stabilité de production et la réduction des pertes sur le long terme compensent largement cette différence. Par ailleurs, la diversification des cultures répartit les risques et favorise la sécurité alimentaire, notamment dans les régions vulnérables.

L’intensification écologique, c’est-à-dire l’utilisation intelligente des processus naturels (pollinisation, lutte biologique, fixation d’azote), permet aussi d’augmenter les rendements sans recourir aux intrants chimiques. Un rapport de l’INRAE estime ainsi qu’une transition agroécologique globale pourrait fournir 80 % des besoins alimentaires mondiaux à l’horizon 2050, à condition d’accompagner cette transformation par des changements dans les régimes alimentaires et la réduction du gaspillage (INRAE).

Fertilisation naturelle des sols : pratiques, résultats et perspectives

Des sols vivants et fertiles sont la pierre angulaire de la sécurité alimentaire. L’agroécologie mise sur plusieurs leviers pour préserver et restaurer la fertilité :

  1. Compostage et amendements organiques : améliorent la structure, la capacité de rétention d’eau et la teneur en matières organiques. Un hectare conduit en agroécologie stocke en moyenne 1 à 2 tonnes de carbone de plus par an que son équivalent en agriculture conventionnelle (Farming Systems Trial, Rodale Institute, 2020).
  2. Maraîchage sur sol vivant : recours au paillage, couverts végétaux et non-labour pour stimuler la faune microbienne et limiter la dégradation du sol.
  3. Rotation et association des cultures : alternance maïs/légumineuses ou blé/pois, par exemple, permet d’éviter l’épuisement de certains nutriments et de limiter les maladies.

Ces pratiques revitalisent les sols, réactivent la biomasse microbienne et maintiennent les rendements sur le long terme, tout en réduisant la dépendance aux fertilisants chimiques – dont la production pèse lourdement sur l’environnement.

Impacts sur la qualité nutritionnelle des aliments

La recherche met en avant un bénéfice direct de l’agroécologie sur la qualité nutritionnelle des produits finis. Les fruits, légumes et céréales issus de systèmes agroécologiques présentent souvent des concentrations plus élevées en micronutriments (vitamines, minéraux, antioxydants), selon une étude de l’Université de Newcastle (2014), qui attribue en moyenne :

  • +18 à 69 % de polyphénols dans les fruits et légumes
  • +10 à 20 % de fer et de magnésium dans les céréales

L’absence ou la réduction des produits phytosanitaires participe de plus à limiter la présence de résidus nocifs dans la chaîne alimentaire. La diversité des rotations et le moindre stress hydrique des plantes favorisent la biosynthèse de composés bénéfiques pour la santé humaine (cf. rapport Environmental Research, 2018).

Limiter les intrants chimiques : une transition vers l’autonomie

En France, l’agriculture consomme 2 millions de tonnes d’engrais azotés chaque année et près de 60 000 tonnes de matières actives phytosanitaires (Agreste, 2022). L’agroécologie ambitionne une forte réduction de cette dépendance :

  • Utilisation de cultures fixatrices d’azote (légumineuses), réduisant la nécessité d’apports d’engrais de synthèse.
  • Usage raisonné ou suppression des pesticides grâce à la lutte biologique, l’introduction de prédateurs naturels et la diversification des écosystèmes agricoles.
  • Production locale de compost, digestat ou fumier pour les apports organiques.

Selon le programme « Agroécologie et Engrais » du CIRAD, les exploitations engagées dans ces démarches baissent leurs besoins en intrants chimiques de 25 à 60 %, tout en maintenant une viabilité économique supérieure à la moyenne sur le long terme, notamment grâce à la réduction des charges et à l’amélioration globale de la santé des sols et des cultures (CIRAD).

Stabilisation et diversification des revenus agricoles

Les crises successives affectant le prix des matières agricoles (blé, lait, sucre) rappellent la précarité des revenus pour nombre d’exploitants. L’agroécologie, en encourageant la polyculture, la vente directe et les circuits courts, permet :

  • De ne pas dépendre exclusivement d’une seule production souvent soumise à la volatilité du marché mondial.
  • D’accéder à des marchés à plus forte valeur ajoutée, comme le bio, le label HVE (Haute Valeur Environnementale) ou la restauration collective engagée.
  • D'attirer des subventions ou aides à la transition écologique (exemple : Plan Stratégique National de la PAC, 2023).

Un rapport de FranceAgriMer (2023) observe une variabilité de revenu près de 2 fois moindre sur 5 ans chez les agriculteurs ayant diversifié leurs activités grâce à l’agroécologie, par rapport à ceux dépendant d’une monoculture ou de l’élevage hors sol.

Agroécologie et viticulture : l’alliance du terroir et de l’innovation

Le vignoble français – 11 % de la surface, mais plus de 20 % des pesticides utilisés (source : Anses) – illustre bien la nécessité et les opportunités de l’agroécologie. Les pratiques s’y adaptent via :

  • Enherbement naturel : limitation de l’érosion, stimulation de la vie microbienne, meilleure gestion des ravageurs (infos 2021 de l’IFV).
  • Agroforesterie et haies inter-parcellaires : ramènent biodiversité, auxiliaires de culture et améliorent la capacité de rétention d’eau des sols.
  • Utilisation de cépages résistants : réduction des traitements (moins 80 % de fongicides pour certains cépages « PIWI », INRAE 2023).
  • Traitement phytosanitaire par biocontrôle : augmentation de 20 %/an des surfaces viticoles concernées depuis 2018 (Données Agreste 2023).

La viticulture moderne montre ainsi que productivité et respect de l’écosystème viticole ne sont plus antagonistes, et qu’une transition agroécologique est déjà à l’œuvre dans plusieurs AOP et territoires d’excellence.

Vers une agriculture capable de nourrir sans épuiser

Face à l’accélération des dérèglements climatiques, à la dégradation des sols et à la pression démographique, l’agroécologie offre des pistes concrètes pour une agriculture plus autonome, plus résiliente et plus respectueuse du vivant. La question de la sécurité alimentaire se rejoue désormais sur le terrain de la qualité des systèmes agricoles autant que sur celui de la quantité produite. Au-delà de la production, l’agroécologie ouvre aussi la voie à une reconquête de la souveraineté alimentaire locale, à une meilleure valorisation des métiers du vivant et à de nouveaux modes de collaboration entre consommateurs, agriculteurs et territoires. Un horizon d’innovation à explorer collectivement.

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