Fermentation naturelle ou vinification conventionnelle : quels impacts sur le vin, l’environnement et le consommateur ?

29/10/2025

Définir les deux approches : fermentation naturelle et vinification conventionnelle

La vinification, processus clé pour transformer le raisin en vin, se décline en une multitude de pratiques. Parmi elles, la fermentation naturelle et la vinification conventionnelle représentent deux visions presque opposées de l’élaboration du vin. Si le terme "fermentation naturelle" gagne en popularité depuis une décennie, surtout avec le mouvement des vins "nature", il ne correspond cependant pas à une réglementation officielle en Europe (source : INAO, Institut National de l’Origine et de la Qualité). Le principe fondamental : laisser agir les levures indigènes, présentes sur la peau du raisin et dans la cave, contrairement à la vinification conventionnelle qui recourt généralement à des levures commerciales sélectionnées.

  • Fermentation naturelle : processus spontané, sans ajout de levures exogènes, limitant également les intrants comme les enzymes, les sulfites ou les nutriments industriels.
  • Vinification conventionnelle : emploi de levures sélectionnées, additifs œnologiques (enzymes, tanins, clarifiants) et corrections chimiques si besoin, avec un encadrement réglementaire précis — notamment à travers l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV).

Au-delà du discours marketing, pourquoi ces choix techniques changent-ils fondamentalement le profil d’un vin ? Quelles conséquences sur la biodiversité microbienne, la typicité, la qualité sanitaire, l’empreinte environnementale et la valorisation commerciale ?

Les différences fondamentales sur le plan microbiologique

La première fracture entre fermentation naturelle et conventionnelle tient dans les communautés microbiennes impliquées. Dans la vinification classique, l’apport de levures , soigneusement sélectionnées, garantit une fermentation régulière, des profils aromatiques standardisés et minimise les risques de déviations organoleptiques (source : OIV, "Levures exogènes et maîtrise des fermentations").

En fermentation naturelle, la diversité des levures (par exemple …), puis leur succession aboutit à une complexité aromatique unique à chaque cuvée. Le côté imprévisible, parfois recherché, expose néanmoins à un risque accru de fermentations languissantes ou de développements microbiens indésirables (Brettanomyces, bactéries lactiques hors contrôle).

  • Entre 250 et 370 espèces de micro-organismes différents ont été recensées sur les raisins, selon les terroirs (source : Université de Florence, étude 2017 sur la diversité microbiologique des moûts).
  • Les levures indigènes peuvent permettre une meilleure expression du terroir, mais génèrent aussi une variabilité entre lots d’un même domaine.

Quelles différences sur l’expression aromatique et la typicité des vins ?

La fermentation naturelle, vecteur du "goût naturel" et de la notion de terroir

Nombre de vignerons engagés dans le naturel mettent en avant une aromatique plus "vivante", moins standardisée, voire "sauvage". Cette diversité aromatique provient des métabolites secondaires issus des différentes souches microbiennes n’agissant pas de la même façon sur les sucres, acides et précurseurs d’arômes du jus de raisin. On évoque souvent une meilleure "transparence" du vin vis-à-vis du sol, du millésime et des interventions minimales.

Cependant, cette richesse peut aussi donner lieu à des arômes dits "d’aventure” (notes animales, "sour", parfois volatile) non recherchés par tous. Ces notes sont régulièrement attribuées aux levures Brettanomyces ou au développement de bactéries lactiques sans contrôle.

Vinification conventionnelle : stabilité et maîtrise de l’expression

En optant pour une fermentation avec levures sélectionnées, l’œnologue gagne en prédictibilité. La typicité recherchée est reproductible d’un millésime à l’autre, le risque de défauts diminue, la qualité s’uniformise. Ce modèle s’intègre à la démarche de nombreux crus haut de gamme, cherchant une signature aromatique précise. 75% des domaines français utilisent aujourd’hui des levures sélectionnées, et près de 90% dans les caves coopératives (source : Syndicat National des Levures Œnologiques, 2023).

  • La conventionnelle s’impose sur le marché international pour sa capacité à livrer un produit constant, rassurant pour l’importateur comme le consommateur.
  • L’utilisation de levures spécifiques pour accentuer des arômes "variétaux" (thiols, esters) est particulièrement répandue pour des cépages comme le sauvignon blanc (arômes de buis, agrumes, passion).

Intrants œnologiques et impact sur la santé

L’un des critères clés différenciant la fermentation naturelle est la réduction, voire absence, d’additifs œnologiques. Cela inclut notamment les sulfites (dioxyde de soufre), anti-oxydants et antiseptiques fortement présents dans la vinification conventionnelle pour garantir la stabilité du vin.

  • Sulfites : Limitation stricte en vinification naturelle (<30 mg/L pour les vins "naturels" vs jusqu’à 150 mg/L en conventionnel pour les rouges AOP — source : règlement CE 606/2009).
  • Autres intrants : Les enzymes, chitosanes, agents de collage (albumine, bentonite) et tanins sont systématiquement écartés dans la mouvance naturelle.

Sur le plan sanitaire, les sulfites peuvent troubler certains consommateurs (céphalées, réactions allergiques rares). Néanmoins, à ce jour, ils demeurent un garant de la stabilité microbiologique et donc de la sécurité alimentaire. Ils font office de "parapluie chimique" sous une forme réglementée, surtout sur les marchés export (source : EFSA, Autorité européenne de sécurité des aliments, 2017).

Conséquences environnementales et sur la biodiversité

La fermentation naturelle s’inscrit fréquemment dans une démarche plus vaste de respect du vivant, de réduction des produits chimiques et de maintien de la biodiversité au chai. Des études montrent que le non-recours aux intrants, tant à la vigne qu’à la cave, limite l’impact environnemental global du domaine.

  • La biodiversité microbienne offerte par la fermentation naturelle pourrait participer à résister aux pathogènes et à adapter les écosystèmes microbien des caves (source : "How Wild Yeast Fermentations Impact Vineyard Biodiversity", Wine Spectator, 2021).
  • Le processus naturel induit généralement une réduction de l’empreinte carbone, liée à la moindre utilisation d’intrants industriels, même si cette dimension reste à nuancer en fonction du transport et de la gestion énergétique du chai.
  • À l’inverse, la vinification conventionnelle, plus consommatrice d’intrants œnologiques et de produits de nettoyage, contribue à générer davantage de déchets spécifiques, bien qu’elle permette une maîtrise des contaminations pathogènes dans certains contextes de fortes températures ou de contamination fongique.

Selon l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, rapport 2020), les démarches de réductions d’intrants, dès la vigne, permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 16% par rapport à un domaine conventionnel à volume égal.

Réglementation, marchés et consommation : quels enjeux ?

La fermentation naturelle, si elle séduit une frange grandissante du public (les ventes de vins nature ont été multipliées par 4 entre 2015 et 2022, source : Syndicat des Vins Naturels), demeure moins lisible aux yeux du consommateur. En France, il n’existait pas jusqu’en 2020 de définition réglementaire. Un label officiel "Vin méthode nature" a été lancé en 2020 sur la base de la charte des Vins S.A.I.N.S.

Pour l’export, la vinification conventionnelle assure une conformité aux cahiers des charges internationaux (OIV, FDA pour les États-Unis, China Entry-Exit Inspection and Quarantine pour la Chine, etc.). Les grandes maisons l’utilisent comme un outil de sécurisation.

Critère Fermentation naturelle Vinification conventionnelle
Levures utilisées Levures indigènes (naturelles) Levures sélectionnées (exogènes)
Intrants œnologiques Strictement limités ou absents Utilisation courante (sulfites, enzymes, nutriments...)
Expression aromatique Variable, typicité forte, profil parfois instable Stable, reproductible, orienté selon le marché
Stabilité sanitaire Risque de profils altérés sans contrôle strict Maîtrise élevée, sécurité garantie
Impact environnemental Moins d’intrants, empreinte réduite Plus d’intrants, gestion des déchets accrue
Réglementation/Label Label "Vin Méthode Nature" (depuis 2020) Respect cahier des charges AOP/IGP/OIV
Valorisation commerciale Marché en forte croissance, mais souvent local ou spécialisé Part de marché majoritaire, positionnement international

Quelles évolutions dans la filière et quels défis à venir ?

Le succès croissant des vins issus de fermentation naturelle interroge toute la filière sur la redéfinition même de la qualité. Les formations œnologiques s’ouvrent désormais à la conduite de fermentations spontanées, ce qui demeurait marginal jusque dans les années 2010. Par ailleurs, le développement de sélections massales de levures indigènes, propres à chaque domaine, permet d’envisager des compromis entre typicité et sécurité.

  • Selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), 18% des domaines bio expérimentent aujourd’hui des fermentations spontanées, alors qu’ils n’étaient que 7% il y a dix ans.
  • L’apparition des labels dédiés structure la filière, permettant une meilleure reconnaissance du produit pour le consommateur.
  • L’enjeu de la stabilité et de la sécurité alimentaire des vins naturels nécessitera toujours une vigilance accrue et une montée en compétences techniques des vignerons.

Vers un nouveau paradigme du vin ?

L’opposition entre fermentation naturelle et vinification conventionnelle cristallise aujourd’hui des débats profonds sur la place de l’humain, la technique et la nature dans la production du vin. Si la naturalité séduit une part croissante d’amateurs et force la filière à repenser ses processus, elle pose aussi des défis importants en matière de gestion du risque, de traçabilité et d’exportabilité. Un mouvement qui n’en demeure pas moins porteur d'innovations technologiques et de réflexion sur le lien entre le contenu du verre, la terre et le vivant.

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