Regards croisés sur la PAC : ce que pensent vraiment les acteurs agricoles

26/06/2025

La PAC : socle incontournable, mais objet de débats

La Politique Agricole Commune (PAC) représente depuis plus de soixante ans un pilier de la construction européenne, tant sur le plan économique qu’environnemental. Dotée d’un budget de 378 milliards d’euros pour la période 2021-2027 (source : Commission européenne), elle constitue, pour de nombreux agriculteurs français et européens, la principale source de soutien financier. Mais qu’en pensent concrètement ceux qui vivent de la terre et de la transformation des produits agricoles ? Leurs perceptions évoluent, oscillant entre reconnaissance, incompréhensions et critiques.

Entre sécurisation des revenus et complexification administrative

Un filet de sécurité financier jugé indispensable

  • Stabilité des exploitations : Pour 65 % des agriculteurs français interrogés dans le baromètre Agrinautes 2023 (source : Terre-net), la PAC reste essentielle pour le maintien de leur activité, notamment face à la volatilité des prix des matières premières et aux aléas climatiques.
  • Un effet variable selon les filières : Les éleveurs bovins ou ovins y sont particulièrement attachés (jusqu’à 90 % d’entre eux déclarant dépendre de ces aides), là où les grandes cultures (céréales, oléagineux) demeurent moins dépendantes, mais voient dans la PAC un garde-fou contre les crises.
  • Appui au modèle familial : Nombre de petites exploitations considèrent la PAC comme un outil de préservation d’une agriculture paysanne face à la montée des grandes exploitations ou à la concurrence internationale.

Des lourdeurs administratives pointées du doigt

La critique revient systématiquement : la bureaucratie pèse. Selon la FNSEA, un agriculteur passe en moyenne 23 jours par an à remplir des démarches administratives pour la PAC. Les contrôles, relevés GPS, justifications environnementales peuvent décourager, d’autant que les règles évoluent fréquemment, générant un sentiment d’insécurité réglementaire. Un tiers des jeunes installés interrogés par le syndicat Jeunes Agriculteurs cite la complexité PAC comme principal frein à l’engagement dans le métier.

Transition écologique : un effort reconnu mais encore jugé insuffisant

Un tournant "vert" de la PAC salué, mais perçu comme incomplet

  • L’introduction d’"écorégimes" dès 2023, allouant près de 23 % du budget PAC à des pratiques favorables à l’environnement, est approuvée par la majorité des organisations professionnelles, y voyant une évolution nécessaire vers une agriculture plus durable (source : Politico.eu).
  • Mais beaucoup d’exploitants regrettent leur faible valorisation des efforts déjà réalisés, notamment dans l’agriculture de conservation ou la production sous label (bio, HVE). Selon INRAE (2023), près d’un quart d’agriculteurs engagés dans des démarches vertueuses estiment que la PAC récompense insuffisamment leur engagement.
  • La diversité des modèles agricoles rend les critères d’éligibilité aux aides environnementales parfois inadaptés. Par exemple, les éleveurs d’herbivores extensifs voient certains dispositifs calibrés avant tout pour les grandes cultures.

Nouveaux objectifs climatiques : adhésion prudente sur le terrain

  • Réduction des pesticides, préservation de la biodiversité, adaptation au changement climatique : les finalités sont comprises mais leur déclinaison opérationnelle interroge. Certains syndicats spécialisés (tels que la Coordination Rurale) dénoncent une "surtransposition" nationale, qui complexifie la tâche sans gain environnemental clair.
  • De fait, la France reste l’un des pays où l’écart entre ambition réglementaire et mise en œuvre pratique suscite le plus de débats.Par ailleurs, la PAC cible davantage le maintien d’exploitations que la transformation profonde des pratiques, freinant la mutation du modèle selon certains acteurs du bio (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique).

Juste rémunération et compétitivité : la PAC face à ses limites

La question du revenu, cœur du débat

Malgré l’importance du soutien financier, le revenu agricole stagne. Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, en 2022 le revenu moyen des exploitants français s’élevait à 22 000 €/an (hors aides PAC), bien loin du salaire médian national. Les aides restent indispensables mais sont jugées insuffisantes par près de 60 % des répondants d’un sondage réalisé par Le Figaro Agri en 2023.

  • Distorsions de concurrence : La PAC est accusée de ne pas compenser suffisamment les charges propres au modèle français – normes sanitaires, sociales, environnementales – tandis que d’autres pays européens bénéficient d’une application plus souple ou stratégique.
  • Distribution inégale : La répartition des aides est souvent jugée trop favorable aux grandes exploitations. Selon la Cour des comptes européenne, 80 % des aides vont à 20 % des exploitations ; or les petites fermes peinent à survivre.

La PAC soutient-elle vraiment l’innovation ?

  • De plus en plus, la PAC inclut des dispositifs pour la modernisation (achat de matériel agricole moins polluant, transition numérique, circuits courts). Mais ces volets restent minoritaires : seuls 5 % des crédits de la PAC sont fléchés vers l’innovation selon le think tank Farm Europe.
  • Les acteurs de l’agroalimentaire réclament un renforcement de l’accompagnement pour la transformation de la filière, la valorisation des protéines végétales ou l’agriculture de précision, considérant que la PAC n’avance pas assez vite sur ces terrains.

Les attentes des agriculteurs et filières : vers quelle PAC demain ?

Qu’apportent les réformes récentes ?

La PAC 2023-2027 mise sur une plus grande "subsidiarité" : chaque État membre choisit ses propres objectifs spécifiques à travers des Plans stratégiques nationaux (PSN). Si la France a orienté ses PSN vers le renouvellement des générations, l’agroécologie, mais aussi la compétitivité, les retours restent mitigés :

  • Difficulté d’adaptation : Seuls 40 % des exploitants se sentent suffisamment informés ou formés sur les nouvelles règles, selon un sondage de La France Agricole (données 2023).
  • Perte de lisibilité : L’empilement des dispositifs, la gestion régionale, complexifient la compréhension même des futurs droits à paiement, alourdissant le recours aux conseillers spécialisés.
  • Renouvellement générationnel : Les jeunes agriculteurs espèrent un ciblage renforcé sur l’installation, la transmission et l’accompagnement technique, notamment face à l’évolution des attentes sociétales.

Des pistes d’évolution souhaitées par le terrain

  • Plus de simplicité et de visibilité à long terme : Beaucoup d’acteurs réclament des dispositifs stables et prédictibles, sur au moins 7-10 ans, pour engager des transitions majeures sans crainte de retournement politique ou réglementaire.
  • Meilleure adéquation des aides environnementales : Fluide pour tous les modèles agricoles, avec une valorisation nette des résultats (réductions d’intrants, stockage de carbone…).
  • Appui renforcé à l’innovation, la digitalisation et la décarbonation : Il s’agirait de dépasser la seule gestion des risques et de favoriser l’adaptation proactive (robotique, agriculture de précision, circuits alimentaires raccourcis, nouvelles protéines).

Des perceptions différenciées selon les profils : étude de cas

Profil Perception dominante de la PAC Principales attentes
Éleveur extensif Dépendance très forte aux aides, sentiment d’injustice sur la répartition, crainte d’être pénalisé pour le faible intensif Reconnaissance des services écosystémiques, protection contre la volatilité
Céréalier “grandes cultures” Sensibilité forte aux changements de règles, perception d’une PAC fluctuante et bureaucratique Prévisibilité des paiements, allégement administratif, innovation de rupture
Viticulteur Moins dépendant, regrette la faible prise en compte des spécificités régionales Fléchage vers adaptation au climat, assurance récolte, promotion export
Jeune installé Perçoit la PAC comme inaccessible, source de soutien mais aussi de blocages Formation simplifiée, ciblage sur l’installation, mentorat et accès au foncier

Perspectives : quels chantiers pour répondre aux urgences économiques et écologiques ?

Si la PAC demeure, aux yeux des acteurs agricoles, le pilier d’un secteur dépendant d’aléas nombreux, sa perception oscille entre gratitude et exaspération face à sa complexité. La demande de stabilité, de reconnaissance du service environnemental rendu, d’un soutien réel à l’innovation technique et organisationnelle, structure les propositions d’évolution.

L’avenir de la PAC, actuellement en débat en vue de la prochaine réforme post-2027, pourrait être tranché par de nouvelles attentes sociétales : alimentation durable, souveraineté alimentaire, adaptation aux crises géopolitiques et climatiques. De l’écoute des acteurs de terrain, de leur expertise parfois méconnue dans la fabrique des politiques européennes, dépendra la capacité de la PAC à redevenir un pacte mobilisateur, et non un simple outil de survie.

Pour approfondir : consulter les dossiers de FranceAgriMer, de la Cour des comptes européenne et les synthèses INRAE 2023 sur la PAC et la transition écologique.

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