Produire plus, mieux et autrement : l’équilibre entre quantité et qualité alimentaire à l’échelle mondiale

23/06/2025

L’urgence de la double exigence : nourrir tous et bien nourrir

D'ici 2050, la population mondiale devrait atteindre près de 10 milliards d’habitants (FAO). Ce chiffre impose une pression sans précédent sur les systèmes alimentaires. Or, la question n’est plus seulement de produire assez : il s’agit de garantir une alimentation abondante et de qualité. Selon l’ONU, plus de 828 millions de personnes souffrent déjà de faim chronique (OMS, 2022), mais plus de 2 milliards présentent aussi des déficiences nutritionnelles. Cette « malnutrition cachée » (carence en micronutriments, alimentation trop riche en calories mais pauvre en nutriments), coexiste avec l’explosion du surpoids et des maladies métaboliques, y compris dans les régions en transition alimentaire rapide.

L’équilibre à trouver n’est donc pas seulement quantitatif. Saborder la valeur nutritionnelle au profit du rendement expose à de nouveaux risques sanitaires, économiques et sociaux. Inversement, prôner le tout-qualitatif pourrait accentuer l’exclusion alimentaire. Mais alors, comment articuler ces besoins dans la pratique ?

Quantité produite vs qualité alimentaire : état des lieux et quelques repères chiffrés

  • Rendements agricoles : En 60 ans, la production mondiale de céréales a quadruplé grâce à la « révolution verte », mais la croissance des rendements ralentit depuis les années 1990 (Our World in Data).
  • Qualité nutritionnelle : L’enrichissement calorique s’est parfois accompagné d’une baisse de diversité et de densité en micronutriments, notamment dans les régimes reposant sur quelques plantes (maïs, blé, riz couvrent aujourd’hui près de 50 % des calories mondiales, FAO).
  • Sécurité alimentaire : Selon le GIEC (2022), les systèmes alimentaires sont confrontés simultanément à des défis de production et à des impacts climatiques croissants qui dégradent la qualité des ressources (sols, eau, biodiversité).
  • Vers une transition protéique ? : Les apports mondiaux en protéines proviennent encore à 60 % de l’élevage, mais les substituts végétaux et alternatives fermentaires prennent de l’ampleur (+15% par an pour les ventes de substituts de viande, Parlement Européen, 2021).

Quand productivité rime avec standardisation… et perte de valeur ?

La course au rendement, sollicitée dès les années 1960, a profondément transformé l’agriculture mondiale. Les variétés végétales hautement productives, associées à l’utilisation massive d’engrais et de phytosanitaires, ont permis d’éviter des famines mais au prix de la diversité. Ainsi, 75 % de la diversité génétique des plantes cultivées a disparu entre 1900 et aujourd’hui (FAO). Les conséquences se font sentir à plusieurs niveaux :

  • Uniformisation alimentaire : L’alimentation humaine s’appuie sur un nombre de plus en plus restreint d’espèces (9 plantes contribuent à 66% de la production végétale mondiale, Source : FAO).
  • Appauvrissement nutritionnel : Sélection génétique et raffinage industriel tendent à diminuer la concentration en fibres, vitamines et minéraux dans certains aliments (ex : blé moderne vs. variétés anciennes).
  • Dépendance accrue aux intrants : Le besoin de fertilisants de synthèse pour soutenir les rendements contribue aux pollutions et pèse sur les coûts de production ainsi que sur la santé des sols.

Un exemple révélateur : une étude publiée dans Nature (2017, Zhu et al.) a montré que la sélection intensive du riz pour le rendement s’est faite au détriment de composés bioactifs essentiels. Des tendances similaires affectent d’autres céréales clés.

Les voies de convergence : produire plus, produire mieux

Trouver des solutions qui ne sacrifient ni la quantité ni la qualité implique d’agir simultanément sur trois leviers :

  1. L’innovation agronomique
    • Génétique et sélection variétale : Les recherches actuelles visent à développer des variétés alliant rendement, résistance au stress et valeur nutritive. Exemple : Les biofortifications (riz doré enrichi en vitamine A, manioc enrichi en fer). Selon le CGIAR, 40 millions de ménages en Afrique et Asie bénéficient aujourd’hui de plantes biofortifiées.
    • Agroécologie : Pratiques telles que rotations diversifiées, agroforesterie ou cultures associées favorisent la résilience, enrichissent les sols, limitent les intrants et améliorent la densité nutritionnelle (INRAE, 2021).
  2. Prise en compte de la post-récolte et des filières
    • Réduction des pertes : 1/3 de la production mondiale est perdue ou gaspillée chaque année (FAO, 2021). L’amélioration de la chaîne du froid, la logistique ou la transformation permettrait de nourrir 1 milliard de personnes supplémentaires (FAO, 2019).
    • Transformation responsable : Les process industriels peuvent préserver la qualité (surgélation rapide, pasteurisation douce, fermentation) ou la dégrader (raffinage excessif, additifs ultra-transformés).
  3. Rééquilibrage alimentaire mondial
    • Moins de calories, plus de micronutriments : Une transition vers des régimes moins riches en graisses saturées, sucre, sel et davantage en fibres, vitamines et polyphénols est nécessaire (EAT-Lancet, 2019).
    • Redistribution des ressources : 36% des céréales mondiales sont destinées à l’alimentation animale, alors qu’une meilleure répartition « de la fourche à la fourchette » renforcerait la sécurité alimentaire.

Exemples concrets de synergies entre rendement et qualité dans le monde

  • Le mil biofortifié au Niger : La distribution massive de semences de mil enrichi en fer a permis d’augmenter simultanément les rendements de 20% et de réduire l’anémie infantile dans la région de Maradi (Corteva Agriscience, 2020).
  • Agroforesterie caféière au Brésil : Des fermes de café au Minas Gerais montrent qu’en diversifiant cultures et arbres d’ombrage, il est possible de gagner en productivité (+30%) tout en améliorant la richesse aromatique des grains et en fixant davantage de carbone (Agricultural Systems, 2021).
  • Culture raisonnée et traçabilité en France : L’émergence des SIQO (Signes d’Identification de la Qualité et de l’Origine, comme les AOP/AOC) garantit des cahiers des charges valorisant à la fois rendement minimal maîtrisé et authenticité organoleptique, essentielle à l’export.

Freins et leviers à l’équilibre quantité/qualité : quels enjeux pour l’avenir ?

  • Enjeux économiques : Le coût d’une alimentation saine représente en moyenne 3 à 5 fois plus que le prix des calories de base (FAO, 2020), freinant l’accès à la diversité.
  • Question du patrimoine semencier : Favoriser la résilience alimentaire implique de préserver la diversité génétique traditionnelle tout en poursuivant la sélection de nouvelles variétés.
  • Éducation nutritionnelle et politiques publiques : Des outils tels que le Nutri-Score ou les taxes sur les produits ultra-transformés guident les choix individuels, mais nécessitent des systèmes alimentaires inclusifs et équitables.
  • Impact du climat : Les stress abiotiques croissants (sécheresse, chaleur, salinité) exigent de nouvelles stratégies d’adaptation et de gestion du risque pour maintenir quantité et qualité.

Nourrir demain : repenser l’équilibre global

La question de la quantité produite face à la qualité alimentaire pose de véritables dilemmes et appelle à dépasser les oppositions caricaturales entre productivisme et respect du vivant. Les solutions se construisent au croisement de progrès scientifiques, d’innovations sociales et de politiques ambitieuses.

  • Valoriser les systèmes agricoles hybrides, mariant haut rendement sur certains territoires et agriculture extensive ou biologique ailleurs.
  • Renforcer la coopération mondiale pour harmoniser normes, recherche et accès aux innovations.
  • Encourager la diversification alimentaire, la relocalisation intelligente et la montée en gamme nutritionnelle.
  • Soutenir l’investissement massif dans la formation des producteurs et la lutte contre les inégalités d’accès à une alimentation de qualité.

L’équilibre entre produire plus et mieux n’est ni une utopie ni un luxe réservé aux pays riches : c’est le socle d’une souveraineté alimentaire durable, pour tous.

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