Vinification et maux de tête : Quel lien réel entre techniques œnologiques et bien-être après dégustation ?

03/11/2025

Origine des maux de tête liés au vin : un phénomène multiforme

Avant d’explorer le rôle de la vinification, il est essentiel de comprendre les mécanismes physiologiques en jeu. Le mal de tête post-vin (ou “wine headache”) concerne surtout les vins rouges et touche une part significative des consommateurs : selon une étude américaine de 2023 menée par l’université de Californie Davis, 7 à 10% des buveurs réguliers de vin rouge rapportent des céphalées récurrentes dans l’heure qui suit la dégustation (UC Davis, 2023).

  • L’alcool : cause primaire, par déshydratation et vasodilatation.
  • Les histamines et amines biogènes : impliquées notamment dans la réponse inflammatoire et allergique.
  • Sulfites : leur rôle est débattu, car ils provoquent de rares réactions allergiques mais leur implication dans les maux de tête est minoritaire selon la FDA (FDA, 2017).
  • Tanins : substances végétales pouvant favoriser la libération d’histamine endogène.

Sulfites : coupables idéaux ou fausse piste ?

Le soupçon sur les sulfites est tenace. Pourtant, les faits sont nuancés. Ces composés (notés SO) sont utilisés pour protéger le vin de l’oxydation et des altérations microbiennes. Leur présence est obligatoire dans quasiment tous les vins, vins biologiques compris (jusqu’à 100 mg/L en bio vs 150-200 mg/L en conventionnel pour les rouges).

  • La consommation quotidienne moyenne de sulfites via l’alimentation est de 20 mg, loin du seuil pour déclencher des effets indésirables (source : EFSA, 2016).
  • Moins de 1% de la population est hypersensible aux sulfites (Allergy UK).
  • Les maux de tête attribués aux sulfites surviennent quasi exclusivement chez les asthmatiques sévères.

Paradoxalement, les vins blancs contiennent souvent plus de sulfites que les rouges, alors que les céphalées frappent davantage les amateurs de rouges… Les études récentes privilégient d’autres facteurs.

Histamines, tyramine et autres amines biogènes : le rôle des micro-organismes

Les véritables responsables semblent être les amines biogènes, notamment l’histamine et la tyramine, produites lors de la fermentation alcoolique et surtout de la fermentation malolactique par certaines bactéries lactiques.

Amines concernées Effets sur la santé Concentration type dans le vin
Histamine Céphalées, hypertension, réaction allergique jusqu’à 10 mg/L (rouges)
Tyramine Hypertension, migraine jusqu’à 6 mg/L (rouges)
Phényléthylamine Effet mineur <2 mg/L

La proportion d’histamine varie énormément selon :

  • Le cépage : des études italiennes (Université de Turin, 2021) soulignent que certains cépages (Nebbiolo, Cabernet Sauvignon) présentent des taux d’histamine supérieurs à d’autres.
  • Le climat du millésime : les années chaudes favorisent le développement de bactéries productrices d’amines.
  • Les pratiques de vinification : macération longue, élevage sur lies, usage de levures et bactéries indigènes vs sélectionnées, filtration ou non… Chaque choix oriente la population microbienne.

Vinification “naturelle” vs “conventionnelle” : qu’est-ce qui change vraiment ?

Le mouvement des vins dits “nature” vante l’absence de sulfites, l’emploi de levures indigènes et l’absence de filtration. Pourtant, ces choix peuvent accroître le risque de développement d’amines biogènes, faute de contrôle strict de la microflore.

  • Des vins non sulfités peuvent parfois contenir jusqu’à 30% d’histamine en plus qu’un vin conventionnel équivalent (OIV, rapport 2020).
  • L’absence de filtration laisse passer plus de fragments microbiens (protéines, peptides) qui peuvent déclencher une réaction chez les personnes sensibles.
  • À l’inverse, la vinification classique, avec maîtrise des températures et ensemencement, limite souvent la prolifération des bactéries produisant des amines toxiques.

Côté réglementation, l’OIV fixe des recommandations (pas d’obligation) de seuil de 10 mg/L pour l’histamine dans les vins, seuil souvent dépassé dans les vinifications peu interventionnistes.

Tanins, phénols et migraine : une question de structure et de physiologie

Les tanins sont emblématiques des vins rouges. Ces polyphénols structurent la bouche, protègent le vin, mais peuvent également influencer la physiologie humaine. Ils favorisent, chez certains sujets, la libération d’histamine par l’organisme lui-même, indépendamment de la teneur du vin.

  • Les vins issus de macérations longues, à extraction poussée (Syrah, Malbec, Madiran…) contiennent logiquement plus de tanins.
  • La sensibilité aux tanins varie fortement d’un individu à l’autre.
  • Une publication du Johns Hopkins Headache Center (2019) identifie le vin rouge comme responsable de 70% des migraines liées à une boisson alcoolisée, contre moins de 10% pour les vins blancs.

Autres variables liées à la vinification

  • Taux d’alcool : une extraction poussée (dans certains vins modernes) augmente la concentration en sucre, donc en alcool, accentuant la déshydratation.
  • pH et acidité : les vins fermentés dans des conditions plus chaudes ont un pH plus élevé, ce qui peut faciliter le développement des bactéries indésirables.
  • Pratiques de clarification : bentonite, collage, filtration peuvent aussi éliminer une partie des amines et protéines.

Des innovations pour limiter les risques

  • La sélection de souches bactériennes “non productrices d’amines” est un levier actuel de la recherche œnologique (ex : Lallemand, IFV).
  • Contrôler les températures, l’oxygénation et l’acidité reste la méthode la plus fiable en cave pour limiter la formation d’amines biogènes (Institut Français de la Vigne et du Vin).
  • L’encapsulage des levures (projets européens OenoBio et WineSafety) permet de cibler les populations microbiennes et de réduire substantiellement la production d’histamine (baissant les taux de 30 à 60% selon les essais 2022-2023).

Conseils pratiques pour consommateurs sensibles

  • Privilégier les vins de vignerons qui pratiquent une maîtrise rigoureuse de la fermentation (mention “contrôle microbiologique”).
  • Se tourner vers des vins jeunes, où la fermentation malolactique a été limitée ou soigneusement gérée.
  • Éviter les vins rouges à forte extraction s’ils sont associés à des céphalées.
  • Ne pas diaboliser les sulfites sans bilan allergologique spécifique : privilégier l’équilibre plutôt que l’exclusion systématique.

Vinification et santé : une question d’arbitrage entre naturalité et sécurité

À l’heure où l’offre de vins dits naturels explose (+25% de part de marché entre 2019 et 2023 en France selon IRI France), il est important de rappeler que le bien-être du consommateur dépend de compromis subtils entre minimalisme œnologique et sécurité sanitaire. Les innovations récentes en fermentation et la sélection raisonnée de pratiques de cave laissent espérer une nouvelle génération de vins où plaisir rime avec tolérance physiologique.

Le défi pour l’agriculture viticole du XXI siècle ? Innover encore, pour conjuguer viticulture propre, méthodes respectueuses et produits adaptés à chaque profil de consommateurs — même les plus sensibles.

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