Traitements phytosanitaires en viticulture : révolution ou continuité avec les cépages résistants ?

11/10/2025

Redéfinir la lutte contre les maladies de la vigne

La viticulture française et européenne est depuis longtemps confrontée à une dépendance massive aux traitements phytosanitaires, en particulier pour lutter contre deux maladies cryptogamiques emblématiques : le mildiou et l’oïdium. Selon les données du ministère de l’Agriculture, la viticulture représente près de 20% de la consommation nationale de produits phytosanitaires, pour moins de 3% des surfaces agricoles françaises. Toutefois, l’essor des cépages résistants – variétés issues du croisement de Vitis vinifera et d’espèces américaines ou asiatiques naturellement tolérantes – promet de bouleverser les pratiques.

Comment leur diffusion influence-t-elle réellement la fréquence et l’intensité des traitements phytosanitaires ? Quels sont les enjeux et les limites associés à cette transition ? Cet article dresse un panorama des impacts observés et à venir.

Cépages résistants : définition et principes de sélection

Un cépage résistant, parfois appelé cépage PIWI (du terme allemand « Pilzwiderstandsfähig », signifiant « résistant aux champignons »), est issu d’une stratégie de sélection intégrant des gènes de résistance au mildiou, à l’oïdium ou à d’autres pathogènes. La sélection repose sur une connaissance fine de la génétique et s’appuie sur deux grands principes :

  • Le croisement interspécifique (hybridation contrôlée) entre Vitis vinifera et espèces sauvages résistantes, pour introduire les gènes majeurs Rpv (résistance au mildiou) et Ren (résistance à l’oïdium).
  • Le backcrossing, soit le retour successif à des géniteurs vinifera pour préserver la qualité organoleptique tout en maintenant les résistances.

Les obtentions récentes dessinent une nouvelle génération de cépages « résistants » capables de répondre aux exigences techniques des vignerons et aux attentes qualitatives des marchés.

L'impact réel des cépages résistants sur la fréquence des traitements

Données issues du terrain et essais en France et Europe

Diverses expérimentations menées depuis une décennie apportent un éclairage objectif sur l’apport des cépages résistants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • Réduction de 80% à 90% du nombre de traitements contre mildiou et oïdium : selon l’INRAE Bordeaux et l’IFV, les nouveaux cépages résistants requièrent en moyenne 2 à 4 traitements annuels, contre 10 à 15 pour les cépages traditionnels, dans des années de forte pression.
  • En Suisse, pionnière des PIWI depuis les années 1990, la réduction du nombre de passages phytosanitaires atteint parfois 95% selon la Fédération suisse des vignerons, avec 1 à 3 applications par an seulement.
  • Sur le réseau VITIREV (Nouvelle-Aquitaine), lors de l’année 2023 marquée par des attaques précoces du mildiou, certaines parcelles en Artaban ou Floreal n'ont reçu qu’un unique traitement de confort, contre 12 à 16 en conventionnel sur les cépages sensibles.

Ces réductions ne se traduisent pas seulement par des économies d’intrants, mais aussi par des gains opérationnels (temps de travail, carburant) et environnementaux (limitation du lessivage, de la dérive, de l’empreinte carbone).

Comparaison selon les contextes sanitaires

Le gain de réduction de traitements dépend de plusieurs facteurs :

  • Variabilité interannuelle de la pression maladies : Certaines années, un ou deux traitements suffisent ; d'autres années plus humides, une vigilance accrue reste nécessaire.
  • Nombre et qualité des gènes de résistance empilés : Plus il existe de « barrières » génétiques, plus la résistance est robuste.
  • Type de conduite : En bio, avec une base de cuivre et soufre, la réduction est parfois moins spectaculaire qu’en conventionnel.

Globalement, la réduction moyenne en France se situe aujourd'hui entre 70% et 90% de traitements phytosanitaires en moins pour les nouvelles générations de cépages résistants au mildiou et à l'oïdium (Vigne&Vin Sud-Ouest).

Des bénéfices multiples pour la filière

Réduction de la pression environnementale et sanitaire

L’un des points les plus marquants reste l’impact positif sur l’environnement :

  • Moins de produits appliqués signifie une forte baisse de la pollution des sols et de l’eau.
  • Les risques pour la santé des applicateurs et des riverains sont drastiquement diminués (source : Ministère de l’Agriculture).
  • Moins de traitements implique aussi moins de tassement des sols et une réduction de la consommation de carburant liée aux passages du tracteur (jusqu’à 50 litres par hectare et par an économisés).

Un levier d’atténuation du changement climatique

Certaines variétés résistantes montrent parallèlement une tolérance accrue à la sécheresse (ex : Floreal, Voltis), permettant d’éviter d’accroître la pression fongique en irrigation limitée. Ce type de cépages devient stratégique dans le contexte de réchauffement climatique, avec un double effet sur la durabilité de la filière.

Un atout économique

Outre les économies d’intrants, la réduction du nombre de passages préserve le matériel, réduit l’usure de la main-d’œuvre et libère du temps pour d’autres tâches. Selon l’IFV, sur la base d’un cycle annuel, la baisse des charges phytosanitaires pour un vigneron peut dépasser 200 €/ha/an, hors coût de conversion.

Limites, risques et vigilance nécessaire

Le spectre de la contournement de résistance

Toutefois, l’expérience a montré que la résistance génétique n’est pas infaillible. En Allemagne et en Suisse, des cas de pathogènes capables d’infecter des cépages initialement résistants ont déjà été observés après quelques années (Agroscope).

  • L’érosion de résistance est favorisée par la monoculture d’un même clone sur de vastes surfaces.
  • Les experts recommandent la rotation des variétés résistantes, le brassage d’origines génétiques et la diversification des modes d’action pour prévenir ce type de dérive.

Complémentarité et limites agronomiques

Il reste nécessaire de souligner que la résistance visée concerne essentiellement le mildiou et l’oïdium. Or, la protection contre le black-rot, le botrytis ou certaines maladies du bois n’est pas acquise. D’autre part, certaines variétés peuvent présenter une sensibilité accrue à d’autres bioagresseurs (ex : acariens, pourriture grise), et il faudra alors prévoir des interventions ciblées.

Enjeux d’acceptabilité, de réglementation et de marché

  • Acceptabilité réglementaire : la France a ouvert son Catalogue officiel à plusieurs cépages résistants depuis 2018, mais les AOC restent encore prudentes (avec l’exception notable du Bordeaux AOC blanc).
  • Acceptabilité sociale et culturelle : une partie des consommateurs et des professionnels s’interroge sur la typicité organoleptique des vins issus de ces variétés. Cependant, les récents concours (ex : Mondial des Vins Extrêmes, PIWI Wine Awards) prouvent qu’il est possible d’obtenir d’excellents profils à partir de ces cépages.
  • Dynamique sur l’export : des pays comme la Suisse, l’Italie du Nord ou l’Allemagne misent depuis vingt ans sur les cépages résistants (Solaris, Souvignier gris, Johanniter) et commencent à peser sur de nouveaux marchés.

Perspectives et dynamiques européennes

L’essor des cépages résistants s’inscrit dans une dynamique européenne puissante. Le projet ResDur fédère chercheurs et professionnels pour créer des variétés à résistance « durable », en empilant plusieurs gènes majeurs. En France, le plan Ecophyto II+ cible une diminution de 50% de l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2025, un objectif que seuls la généralisation et l’amélioration continue de tels cépages rendront accessible dans la filière vin.

Quelques chiffres-clés

  • En 2023, les cépages résistants représentent environ 6 000 hectares en France, mais le potentiel de progression est considérable (source : IFV).
  • Dans certains bassins (Alsace, Pays de la Loire, Sud-Ouest), la part de plantations annuelles de cépages résistants s’élève déjà à plus de 10% des nouvelles surfaces.

Enjeux de demain : entre prudence scientifique et accélération du changement

Les cépages résistants apparaissent comme un levier déterminant pour diviser par trois à dix la fréquence des traitements phytosanitaires, avec des retombées positives sur l’environnement, la santé humaine et la viabilité économique de nombreuses exploitations. Toutefois, cette mutation devra s’accompagner d’une gestion raisonnée (alternance variétale, surveillance épidémiologique accrue) et d’une vigilance sur l’apparition de contournements de résistance.

Entre la nécessité de préserver l’identité viticole, celle de faire évoluer les pratiques pour répondre aux attentes sociétales, et le défi de garantir une transition durable, la diffusion des cépages résistants augure une transformation profonde du paysage viticole pour les prochaines décennies. La suite de l’histoire dépendra de la capacité de la filière à s’organiser collectivement, à investir dans la recherche et à développer des stratégies d’accompagnement des vignerons pour maximiser les bénéfices tout en limitant les nouveaux risques.

Sources complémentaires :

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