Les cépages résistants : catalyseurs de la durabilité en viticulture

14/10/2025

Comprendre les cépages résistants : origines et enjeux

En viticulture, le terme « cépage résistant » fait référence à des variétés de vigne développées pour mieux tolérer certaines maladies cryptogamiques majeures, telles que le mildiou et l’oïdium. Ces maladies, que l’on retrouve dans tous les vignobles du monde, nécessitent aujourd’hui une utilisation massive de produits phytosanitaires. En 2023, selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), le secteur viticole français a compté pour près de 20% des usages de fongicides agricoles nationaux, alors que la vigne ne représente que 3% des surfaces cultivées (source : Agreste, 2022).

Face à la nécessité de limiter l’impact écologique de la viticulture et de satisfaire aux nouvelles exigences des consommateurs et des pouvoirs publics, les cépages dits « résistants » apparaissent comme une solution prometteuse pour concilier production viticole et respect de l’environnement.

Pourquoi la vigne est-elle si dépendante des traitements phytosanitaires ?

Avant d’analyser la contribution des cépages résistants, il convient de comprendre pourquoi la culture de la vigne est aussi consommatrice de traitements. Deux maladies principalement sont en cause :

  • Le mildiou, causé par le champignon Plasmopara viticola, apparu en France à la fin du 19ème siècle via l’importation de plants américains.
  • L’oïdium, provoqué par Uncinula necator, est également arrivé d’Amérique à la même période.

La plupart des cépages européens (Vitis vinifera) sont très sensibles à ces deux pathogènes, n’ayant développé aucune résistance naturelle au fil de leur domestication. Les traitements fongicides réguliers, parfois chaque semaine en année humide, sont le principal moyen de défense pour garantir la récolte.

Qu’est-ce qu’un cépage résistant ?

Les cépages résistants sont généralement obtenus par croisement de Vitis vinifera avec d’autres espèces du genre Vitis (américaines ou asiatiques), naturellement résistantes à certaines maladies. Ce processus, par sélection « classique » (et non OGM), permet d’introduire dans le patrimoine génétique des variétés européennes des gènes de résistance, tout en conservant au maximum les qualités œnologiques recherchées.

Les premiers hybrides du début du XXème siècle ont souvent été abandonnés à cause de leur profil aromatique trop éloigné de ce que recherchaient producteurs et consommateurs. Aujourd’hui, la recherche agronomique a progressé, aboutissant à des cépages résistants de seconde génération, comme le Floréal, Artaban ou Vidoc (sélectionnés par l’INRAE et l’IFV), dont les qualités œnologiques sont bien supérieures à celles de leurs prédécesseurs (IFV).

Réduire l’empreinte phytosanitaire : quel gain concret avec les cépages résistants ?

La réduction des traitements phytosanitaires constitue l’enjeu principal. Selon les essais menés par l’IFV, l’utilisation de cépages résistants permet de :

  • Diminuer de 66% à 90% le nombre de traitements fongicides, passant parfois de 12-15 applications par an à seulement 2 à 4 en conditions difficiles.
  • Abaisser de 2 à 5 fois la quantité de substances actives épandues à l’hectare.
  • Limiter le ruissellement de cuivre (autorisés en bio mais perturbateur pour les sols) : sur cépages résistants, certains viticulteurs réussissent désormais à s’en passer totalement certains millésimes.

Ces résultats, confirmés aussi en Allemagne et en Suisse où les « PIWI » (du nom allemand Pilzwiderstandsfähige Rebsorten, cépages résistants aux champignons) sont cultivés depuis plus longtemps, illustrent le potentiel de rupture de ces nouvelles variétés (source : Bundesamt für Landwirtschaft, Suisse).

Impact sur la santé et l’environnement

Réduire les traitements signifie :

  • Limiter l’exposition des applicateurs et des riverains aux produits phytosanitaires, un enjeu souvent ignorer dans le débat viticole.
  • Préserver la qualité des sols et de l’eau : moins de lessivages, moins de résidus dans les nappes, amélioration de la biodiversité microbienne des sols selon les travaux de l’INRAE en 2021.
  • Renforcer la viabilité des exploitations en agriculture biologique, qui limitent le recours aux molécules de synthèse mais utilisent encore beaucoup de cuivre, métal lourd non dégradable.
  • Répondre à la demande croissante de vins produits en limitant les intrants, notamment sur les marchés scandinaves ou allemands très attentifs aux labels environnementaux.

En 2022, la filière française estimait à plus de 7000 hectares la surface plantée en cépages résistants, plus que doublée en 4 ans (FranceAgriMer). Ce mouvement ne cesse de s’amplifier, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie étant les régions pionnières.

Quid des qualités œnologiques et de l’adaptation au marché ?

L’une des principales critiques longtemps formulées à l’encontre des cépages résistants concernait la qualité des vins obtenus : profils aromatiques atypiques, manque de structure, « goût foxé »… Désormais, les variétés récentes donnent des résultats prometteurs, à tel point que plusieurs d’entre elles ont obtenu leur inscription aux catalogues officiels AOC (ex. : Floréal en IGP Côtes de Gascogne, Sauvignac en suisse alémanique), et que des négociants majeurs les incorporent dans leurs gammes.

  • Les dégustations comparatives de l’IFV en 2021 montrent une prise en main rapide des vinifications, avec des profils aromatiques « proches des standards de cépages historiques » (source : Revue des Œnologues, n°181).
  • En Allemagne et Autriche, plus de 50 variétés PIWI sont déjà reconnues commercialement.
  • La France a débloqué en 2018 l’inscription de 6 cépages résistants en appellation Bordeaux « expérimental », dont le Sauvignac et le Cabernet blanc pour le blanc, le Arinarnoa ou le Marselan pour le rouge.

Outre la réduction des phytos, ces nouveaux cépages présentent souvent une bonne adaptation au réchauffement climatique (débourrement tardif, meilleure résistance à la sécheresse pour certains), ce qui accroît leur intérêt à l’échelle européenne (OIV, 2022).

Enjeux agronomiques et limites actuelles

Toutefois, développer massivement les cépages résistants ne va pas sans enjeux ni questionnements :

  • Résistances non éternelles : le risque de « contournement » de la résistance par des mutants de mildiou/oïdium existe. D’où l’intérêt de privilégier les croisements pyramidant plusieurs types de résistance (stratégie de « durabilité de la résistance »).
  • Diversité génétique limitée : attention à ne pas reconstituer de nouveaux standard mono-cépages, source de fragilité agronomique sur le long terme.
  • Acceptation par la filière : certains vignerons, attachés à la tradition et à l’image des cépages historiques, restent réticents. Mais la dynamique évolue vite, sous la contrainte des marchés et du réchauffement climatique.

En outre, le développement de ces variétés nécessite de poursuivre la recherche sur l’adaptation aux terroirs locaux et d’anticiper les aspects réglementaires (étiquetage, droit d’usage en AOC, etc.).

Innovation, réglementation et perceptions des consommateurs

Sur le plan réglementaire, l’inscription de cépages résistants en appellation reste un levier. Après Bordeaux (2018), d’autres régions comme l’Alsace et le Languedoc étudient des expérimentations à grande échelle. L’OIV a ouvert la porte à l’intégration de ces innovations dans ses directives 2022.

La réaction des consommateurs est à surveiller mais semble favorable, en particulier auprès des jeunes générations sensibles aux enjeux environnementaux. Une étude menée en 2021 par Vin & Société révélait que 67% des Français accepteraient de boire un vin issu de cépages résistants, à condition de transparence sur la démarche.

Perspectives : vers une viticulture post-phytosanitaire ?

Derrière cette révolution silencieuse portée par les cépages résistants, se joue une transformation de la viticulture européenne. Les acteurs qui anticipent cette transition s’assurent une avance non seulement environnementale, mais aussi économique.

  • Moins de dépendance aux intrants (dont les coûts explosent, crise Ukraine 2022-23).
  • Filière plus résiliente face aux aléas climatiques et réglementaires.
  • Exemple suisse : dans les cantons où la vigne PIWI dépasse 18% du vignoble (Schaffhouse), la baisse des intrants favorise aussi la biodiversité paysagère.

Si la route vers une viticulture 100 % sans phytosanitaires reste longue, le développement raisonné des cépages résistants est l’un des accélérateurs clés de la transition agroécologique du secteur. La question n’est plus tant si leur diffusion va s’amplifier, mais plutôt comment accompagner efficacement cette mutation, pour conjuguer tradition, innovation et exigence environnementale.

Sources :

  • Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV)
  • Agreste - Ministère de l’Agriculture (2022)
  • FranceAgriMer, Note de conjoncture 2022
  • INRAE, travaux sur les cépages résistants (2021 et 2022)
  • OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin), Résolutions 2021-2022
  • Bundesamt für Landwirtschaft (Suisse), PIWI International
  • Revue des Œnologues n°181
  • Vin & Société, Baromètre 2021

En savoir plus à ce sujet :